Tranchons et traquons

Tranchons et Traquons est un jeu med-fan qui avait pas mal fait parler de lui il y a quelques années. Sorti d’abord dans une version gratuite en 2009 puis dans une version commerciale en 2010, il s’est illustré au moins pour deux choses. D’abord par ses mécaniques simples et accessibles qui permettaient de réussir une sorte de grand écart consistant à retrouver un plaisir de jeu et une fraîcheur proche des Donj’ auxquels on jouait ados tout en incorporant pas mal de nouveautés techniques et de petites idées particulièrement bien trouvées qui n’ont pas tardé à être vues ailleurs. Ensuite, ce jeu était un des premiers à sortir chez Lulu tout en ayant un tel niveau de qualité formelle.

Pour ceux qui ont lu mes réponses aux entretiens de Coralie David, je ne fais pas mystère que Kobayashi, l’auteur de Tranchons et Traquons (mais aussi du très intéressant 10 000, entre autres), est pour moi un des auteurs indépendants (et un des auteurs tout court) les plus intéressants à suivre à l’heure actuelle. Pour faire simple, outre un regard assez critique sur ce qui sort, un liberté de ton et une capacité à s’intéresser à des jeux qui ne sont pas forcément ni des classiques ni des jeux de la hype, je lui reconnais surtout nombre des qualités que je trouve également intéressantes chez Zak S., à savoir une connaissance directement issue des diverses écoles rôlistes du moment (disons forgienne et old school), utilisée non pas pour reproduire l’opinion de telle ou telle chapelle, mais pour se créer sa propre façon d’évaluer les jeux.

Bref, Kobayashi vient partager 5 trucs qu’il a appris en travaillant sur Tranchons et Traquons !

Pour découvrir T&T : http://www.legrog.org/jeux/tranchons-traquons
Pour lire la ludographie de Kobayashi : http://goo.gl/3x0BtW
Pour découvrir son blog : http://livresdelours.blogspot.fr/

 

0. Introduction

 

Chaque fois que j’écris un jeu, c’est pour une simple et unique raison : je ne trouve pas de jeu dans le commerce qui répond à mes besoins. Pour Tranchons & Traquons, je voulais un jeu qui corresponde à mon style de jeu et celui de mes joueurs : des trentenaires avec des familles, des emplois du temps restreints et qui n’avaient plus la possibilité de jouer une campagne sur deux ans. De mon côté, en tant que meneur de jeu je baignais complètement dans les théories et les jeux de la Forge : parties de Sorcerer, Dogs in the Vineyard, Polaris, Burning Empires, etc. Il y avait plein d’idées que je voulais réinjecter dans un jeu plus « classique ». Tranchons & Traquons est né du croisement de ces besoins et de ces influences et sa création m’a permis de réaliser plusieurs choses…

 

1. Écrire son jeu de rôle : pour qui ?

 

« J’ai une idée géniale, je vais écrire un jeu de rôle d’heroic fantasy, ce genre bien trop ignoré par notre hobby ! ». Autant vous le dire tout de suite, si je m’étais arrêté à ça je n’aurais sans doute jamais écrit Tranchons & Traquons. Pourquoi écrire un jeu de rôle avec un thème aussi éculé ?

Je l’ai dit plus haut, j’ai d’abord écrit le jeu mon groupe de joueurs et moi.

En me lançant dans la rédaction, je me suis également rendu compte que je voulais écrire pour un autre moi, pour le gamin de 11 ans qui venait de découvrir le jeu de rôle et à qui je voulais transmettre une partie de ce que j’avais appris en 30 ans de pratique. Pour lui montrer qu’être meneur de jeu c’est prendre un pied sans pareil. Pour lui dire que ça n’a rien de bien sorcier et que tout cela repose plus sur des principes que sur des règles. Pour lui rappeler qu’on s’améliore avec la pratique et qu’une partie ratée n’est pas du temps perdu.

C’est ce qui a donné ce côté un peu schizophrène au jeu : une volonté d’initier mélangée à un humour et des clins d’œil destinés aux vieux rôlistes. Ce qui m’a d’ailleurs beaucoup touché au lancement de Tranchons & Traquons, c’est que j’ai régulièrement reçu des messages de gens qui m’ont dit : « je n’ai pas joué aux jeux de rôle depuis X années, après avoir lu votre jeu je m’y suis remis, j’ai joué avec mes enfants, mes amis, etc. ».

Je pense, avec le recul, que le choix du thème et des règles ont trouvé un écho chez les joueurs de Tranchons & Traquons pour une raison assez simple. En tant que joueur/meneur, je suis à la fois poussé par la curiosité (de nouvelles façons de jouer, de nouveaux univers…) et par la familiarité (je suis plus ou moins à l’aise avec tel genre d’univers ou de règles). Ma curiosité j’ai essayé de la transmettre via des règles « originales », la familiarité je l’ai placée dans le genre que j’ai choisi. La recherche de cet équilibre entre familiarité et originalité fait partie, à mon avis, de la réflexion de la plupart des concepteurs de jeu.

 

2. Le retour aux sources

 

Il faut non seulement lire d’autres jeux, mais il faut également y jouer : il ne suffit pas d’écouter de la musique pour devenir musicien. Beaucoup de règles de Tranchons & Traquons ont été inspirés non seulement par d’autres jeux, mais surtout par leur pratique. Les habitudes que j’ai prises (bien souvent les jeux avec lesquels je me suis « formé » au jeu de rôle) et celles des différents joueurs et meneurs que j’ai croisés m’ont profondément marqué, plus que je ne le croyais en fait. Cela a créé un « filtre » dans ma lecture et ma pratique des jeux de rôle.

Découvrir d’autres manières de pratiquer, de présenter, d’écrire ou même de vendre un jeu de rôle est impératif pour voir au-delà de cette grille de lecture. Dans Lamentations of the Flame Princess, l’auteur, James Raggi, insistait sur le fait de mener des scénarios écrits par d’autres afin de sortir de sa zone de confort. Cela ne signifie pas que l’on s’interdit d’avoir des préférences, mais il est toujours intéressant de voir comment d’autres répondent aux questions que l’on se pose : « Comment présenter un scénario ? », « Comment partager l’autorité ? », « Comment mener une partie ? », etc.

On peut ensuite faire des choix en fonction de ses préférences plutôt que de ses préjugés.

 

3. Écrire des règles : vous n’êtes pas seul

 

Pour une raison qui m’échappe, de nombreux jeux de rôle adoptent encore un ton très scolaire, comme si les règles étaient un passage obligé, mais pénible et que la clarté passait immanquablement par un ton neutre et compassé.

La majeure partie des retours positifs que j’ai eus sur Tranchons & Traquons concernaient le style et le ton employé dans l’ouvrage. La manière dont j’ai abordé l’écriture des règles était la suivante : je suis à une table avec mes joueurs, comment est-ce que je leur explique les règles ? J’ai en face de moi un joueur qui veut maîtriser une partie, quels conseils puis-je lui donner ? J’ai essayé d’envisager l’écriture des règles comme un dialogue plutôt que comme un cours magistral.

Cela signifie qu’à chaque fois que j’ai introduit un point de règle ou un conseil j’ai visualisé quelqu’un qui me demandait systématiquement « Pourquoi ? ». En dépit des risques de schizophrénie que peut entraîner cette pratique, j’aurais maintenant beaucoup de mal à m’en passer. C’est d’autant plus important si vous êtes un auteur indépendant, vous n’aurez pas un éditeur (à condition que ce dernier fasse son travail…) pour vous guider et vous aider à faire le tri dans vos idées.

 

4. Des illustrations, des illustrations, des illustrations

 

Ce que l’on trouve au cœur du jeu de rôle, c’est un imaginaire partagé. Il faut que le meneur et les joueurs aient un imaginaire en commun pour que la sauce prenne. Il n’y a rien de plus efficace que des images pour créer un imaginaire commun (pourquoi Star Wars et Warhammer 40K font partie des rares jeux de SF qui fassent un carton à votre avis ?).

Pour la plupart des indépendants, c’est considéré comme un obstacle majeur. C’est en partie un faux problème : vous pourrez commencer à vous occuper des illustrations une fois que vous aurez un texte quasi définitif et solide. Mais après ça, il faudra penser à créer l’univers visuel de votre jeu. Pour Tranchons & Traquons, Le Grümph voulait savoir s’il pouvait se lâcher et faire de la « disco-fantasy » : j’ai immédiatement dit oui. Cela a permis au jeu de ne pas être qu’un simple jeu « med-fan » de plus et d’avoir sa propre personnalité.

Essayez de trouver la solution financière qui pourra satisfaire votre illustrateur et ne soyez pas pingre (pour Tranchons & Traquons, les bénéfices sont divisés par deux entre le Grümph et moi par exemple), les images ne sont pas là pour faire joli, ce n’est pas du « bonus », elles sont là pour communiquer votre imaginaire aux lecteurs, elles sont aussi importantes que les règles ou les conseils techniques. Donc renseignez-vous un minimum sur ce qu’est la « direction artistique », c’est loin d’être un détail. J’ai un peu commencé avec Tranchons & Traquons et je sais que maintenant ce sera un point fondamental dans mes futures publications.

 

5. Le seul conseil qui a vraiment de l’importance à mes yeux

 

Si vous êtes indépendant et qu’un projet vous tient à cœur, menez-le à terme. Écrivez-le pour vous, écrivez-le pour y jouer, écrivez-le pour vous faire plaisir, écrivez-le parce que vous êtes persuadé que vous avez envie de le partager. Ne restez pas assis sur vos mains à vous demander si tout cela en vaut bien la peine. Même si le résultat final ne trouve pas son public, cela vous apprendra énormément de choses. Vous en saurez plus sur vos goûts en matière de jeu de rôle, sur vos attentes, voire sur la manière dont vous mènerez le projet suivant si vous y avez pris goût. Il faut voir à long terme.

Aucun Commentaire

Laissez un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.