American Vandal-hearts

Chez Lapin Marteau, on adore Monsterhearts et c’est sans aucun doute un de nos jeux préférés. Pour quiconque nous suit sur les réseaux sociaux, ce n’est guère un secret. On y joue depuis que la première édition est sortie en anglais, ou peu s’en faut, et on continue d’y revenir régulièrement. Des fois, on y joue by the book, d’autres fois on le triture dans tous les sens en griffonnant des règles maison, voire un joue à un hack du jeu, mais on y revient toujours. Et c’est sans doute aussi à cause de Monsterhearts que l’on regarde un peu trop de teen movies ou de séries avec des adolescents pour notre âge ou notre santé mentale. La dernière en date, c’est la seconde saison d’American Vandal. Plutôt que de s’essayer à une critique classique que d’autres sauront bien mieux faire que nous, voici ce que l’on en a retenu et ce qu’on a trouvé d’inspirant pour jouer à Monsterhearts.

Pour expliquer la situation de départ sans trop spoiler, on retrouve les vidéastes-étudiants-détectives de la première saison. Suite à leur documentaire, on leur demande de venir résoudre un mystère dans un lycée catholique huppé dans la banlieue éloignée de Seattle. Quelqu’un qui se fait appeler « le Chieur Masqué » et qui nargue les autorités depuis son compte Twitter a versé des laxatifs dans la limonade de la cantine, ce qui n’a pas manqué de provoquer une diarrhée collective et spectaculaire. La police a bien arrêté un coupable, mais une lycéenne est persuadée que ce n’est pas le bon…

Le principe est donc assez similaire à celui de la première saison : des étudiants qui enquêtent sur un événement qui a l’air d’être une mauvaise blague, mais qui sert de prétexte à un faux documentaire et à une intrigue plutôt prenante. La série en profite au passage pour évoquer de nombreux problèmes sociétaux, parfois sur un ton satirique, parfois de façon diablement sérieuse.

Pour ne pas vous survendre cette saison, commençons par parler de ce qui pourra vous rendre le visionnage désagréable. La plupart de ces problèmes semblent être dus à des paresses d’écriture et auraient sans doute étaient bien moins désagréables s’ils n’avaient pas été déjà présents dans la première saison. Tout d’abord, certains procédés d’exposition sont lourdingues et donnent le sentiment d’être assez malhonnêtes avec le téléspectateur. Ainsi, si on suit l’enquête des protagonistes et que l’on découvre les informations en même temps qu’eux, ce n’est pas le cas au début de la série. Par exemple, on découvre à la fin du premier épisode et durant un ou deux suivants que telle ou telle hypothèse avec laquelle on nous balade depuis quinze minutes est invalidée alors que les protagonistes le savent depuis le début. C’est assez désagréable. De la même façon, de nombreux twists sont amenés soit par des coïncidences, soit parce que quelqu’un appelle les enquêteurs pile au moment approprié et leur lâche une information qui leur permet de créer un cliffhanger et d’avancer. On serait autour d’une table de jeu, on aurait l’impression que le meneur a pitié (ou, plus probablement, un horaire à tenir). C’était déjà paresseux dans la saison précédente, c’est la même chose dans celle-ci. Enfin, certains des rebondissements finaux sont assez téléphonés. Fort heureusement, deviner qui est le « Chieur Masqué » avec certitude n’est pas évident, et tomber juste ne gâche le visionnage.

Si on se limitait d’ailleurs à cet aspect, on pourrait peut être rajouter l’utilisation de certains poncifs pour les habitués du genre (Quoi ? Des sportifs peuvent être privilégiés et se croire intouchables ? Dans un lycée américain ? ), mais c’est tout sauf un problème dans le cadre d’une inspiration pour du jeu de rôle. D’une part, une bonne partie de ces clichés sont détournés, sans qu’il soit forcément facile de deviner si cela va être le cas ou pas, ni dans quel sens. D’autre part, à moins que vous multipliiez les campagnes, ce classicisme servira davantage de repères pour votre table en leur rappelant les codes du genre. Bien sûr qu’il y a plus subtil, mais cela leur permettra de s’intégrer bien plus facilement à ce que vous proposez. Et puis, pour être tout à fait honnête, c’est assez plaisant de reconnaître certaines références, comme la carte géopolitique de la cantine qui n’est pas sans rappeler celle de Mean Girls.

Mais ce n’est qu’un des intérêts de la série. Pour des gens comme nous, qui n’allons pas au lycée et ne côtoyons plus de lycéens depuis … eh bien… leur âge en fait, cette saison donne l’impression d’être crédible et de parler d’un établissement moderne. Vous savez, le contraire d’un lycée fantasmé par une équipe de production qui l’a quitté sous Clinton et où on voit rapidement que les acteurs jouant les premiers rôles ont au moins dix ans de trop. Alors, autant être clairs, le lycée en question est une institution bien particulière, privilégiée, avec son propre contexte, mais elle semble crédible. De plus, si comme nous vous avez parfois du mal à intégrer dans votre campagne certains éléments qui n’étaient pas forcément présents à votre époque mais qui changent la donne aujourd’hui (portables, réseaux sociaux, cyberharcèlement, relation à la « célébrité » et à la télévision moderne, etc.), cette série donne de nombreuses idées qui peuvent être facilement réutilisées. C’est notamment le cas de la technologie, parfois plus que dans certaines productions pourtant pensées comme cyberpunk, même si celle-ci ne porte pas de valeur morale en soi, si ce n’est dans l’utilisation qu’en font les personnages.

Dans les autres bonnes surprises, il y a la façon dont la série gère les questions de discriminations et de diversité sociale. Toutes ne le font pas et n’ont probablement pas à le faire, mais dans le cadre d’une inspiration pour une campagne de Monsterhearts, c’est un élément assez important. On retrouve de plus en plus souvent une approche semblable à celle de productions comme 13 Reasons Why, qui donnent parfois l’impression de jouer au bingo des minorités en cherchant à remplir tous les quotas, quitte à réussir l’exploit de ne faire figurer aucun étudiant obèse dans une série sur le harcèlement se passant dans un lycée américain. Ici, il n’y a certes toujours pas d’obèse, mais on prend l’optique inverse. On se place dans le cadre d’un lycée catholique pour gosses de riches d’une banlieue blanche, avec très peu de mixité sociale, et où tout le monde est d’accord pour dire qu’il n’y a pas de problème. Toutefois, comme un des principaux suspects est un athlète noir, et que les scénaristes ont pris le temps développer, on donne une place importante à ces problématiques, sans chercher à cacher sous le tapis toutes les questions annexes que cela peut provoquer ; et, pour le peu que l’on peut en juger, sans se vautrer dans l’angélisme ou le misérabilisme non plus. C’est un peu moins vrai pour les questions de sexualité, même si elles ne sont jamais bien loin.

Autre élément intéressant à reprendre dans vos parties, les personnages font de nombreuses erreurs. En fait, ils sont généralement fouillés et s’ils ressemblent tous à des archétypes au début, surtout dans les premiers épisodes, ils ne le restent guère longtemps dès que l’on commence à s’intéresser à eux. Ils ont des envies diverses, parfois contradictoires, des contraintes qui le sont tout autant et cela participe à casser leur côté monolithique. D’une façon ou d’une autre, ils ne sont pas insensibles à leurs propres émotions, même si cela leur joue des tours. C’est la raison pour laquelle ils hésitent, se trompent, et que l’on peut presque toujours éprouver une forme d’empathie et les comprendre, sinon s’y attacher. Cela ne veut pas dire qu’ils sont tous gentils au fond ou qu’ils ont tous des excuses (ce n’est pas Orange is the New Black), mais même parmi ceux qui se comportent comme des monstres, rares sont ceux à être réellement désespérants. Il faut dire aussi qu’on ne les dépeint que rarement comme des gamins écervelés ou des groupes, mais presque toujours comme des individus faisant partie de la même promo. De ce point de vue, c’est presque à utiliser tel quel dans du Monsterhearts.

Enfin, et c’est le prolongement des points précédents, si les personnages peuvent être parfois stupides, méchants ou même malchanceux, ils font tous partie d’une institution qui les pousse à porter à la fois un masque et les stigmates d’une aliénation assez folle. Si l’on peut s’attacher à la plupart des lycéens, même ceux qui ont des comportements ignobles, c’est beaucoup plus difficile avec les adultes et les figures d’autorité. On les voit faillir eux aussi, on peut réfléchir et se mettre à leur place, mais ce sera rarement grâce à la série. Celle-ci les regarde avec les yeux des adolescents et donc presque jamais avec la proximité qui autorise l’empathie. Comme les lycéens, les adultes sont pris dans une machine qui broie les individualités, voire les identités, et tout le monde travaille à son propre isolement. Tous se piègent eux-mêmes ou les uns les autres, en créant ou en acceptant des responsabilités, des cliques et des obligations qui semblent incontournables, mais ne font aucun sens. Or, si le sort des adultes peut être moins sombre dans Monsterhearts, cette aliénation et cette pression sociale sont à la fois au cœur du jeu et de la série ; sans doute bien plus que n’importe quelle enquête, diarrhée ou vampire. C’est pour cela que, même sans sexualité queer au premier plan, même sans surnaturel, cette seconde saison d’American Vandal nous semble être une très bonne inspiration pour Monsterhearts.

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