Composer la bande son de sa campagne

Ce billet vient à la fois d’une envie qui traînait dans nos têtes depuis quelque temps et d’une demande qui a été faite lors de notre passage chez Dice Story jeudi dernier : montrer quelles sont les musiques que l’on utilise à nos tables de Monsterhearts. Comme on n’était pas bien sûr de l’intérêt de vous partager une très longue playlist désordonnée (mais allez quand même voir à la fin de ce billet), on avait d’abord choisi l’optique opposée : vous présenter seulement quelques morceaux en expliquant la manière dont on s’en sert lors des séances. Puis on s’est dit qu’il serait sans doute plus efficace de reprendre un vieil outil qui traînait dans nos cartons, à savoir un questionnaire pensé pour construire l’accompagnement sonore d’une campagne sans y passer des heures, de le finaliser et de le remplir a posteriori, comme si on l’avait fait pour une de nos campagnes de Monsterhearts. Accessoirement, procéder ainsi permet à ce billet d’être également utile aux personnes qui ne s’intéressent pas à ce jeu en particulier.

Aperçu du questionnaire

Dont Acte. Le formulaire est découpé de la façon suivante :

1. Cadrage général de la campagne
– Comment décririez-vous l’ambiance sonore de votre campagne ? Quels styles musicaux ? Quelles influences ?
– Préférez des séances majoritairement sonorisées ou que la musique soit plus rare, uniquement présente pour les scènes importantes ?
– Est-ce que vous avez d’autres contraintes limitant le choix des morceaux ?

2. Structure et séances
– Est-ce que vous comptez utiliser un générique pour commencer vos séances ? Si oui, lequel ?
– Est-ce que vous comptez utiliser un générique de fin ?
– Est-ce que vous avez des morceaux à jouer « par défaut », dont le rôle est de véhiculer l’ambiance et l’identité sonore de votre campagne, quand vous ne souhaitez rien mettre en avant de particulier ou ne savez pas quoi passer ?
– Est-ce qu’il existe des phases spécifiques que l’on va retrouver à chaque séance ou presque, et que vous souhaitez sonoriser en particulier ?

3. Les personnages principaux (PJ)
– Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes spécifiques pour les personnages ? Lesquels ?
– Est-ce que vous souhaitez sonoriser certains pouvoirs ou capacités des personnages ?
– Est-ce que vous utilisez des déclencheurs musicaux ?

4. Les autres personnages (PNJ)
– Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes spécifiques pour les personnages ? Lesquels ?
– Est-ce que vous souhaitez sonoriser certains pouvoirs ou capacités de ces personnages ?

5. Les musiques liées à d’autres éléments spécifiques de l’univers
– Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes pour des objets spécifiques ? Lesquels ?
– Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes pour des lieux spécifiques ? Lesquels ?
– Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes pour des moments spécifiques ? Lesquels ?

6. Les musiques liées à un type de scènes ou de phases de jeu
– Est-ce qu’il y a un type de scène que vous n’avez pas encore évoqué et qui tirerait particulièrement parti d’un accompagnement sonore ?
– Est-ce qu’il y a un type de scène qui devrait être si récurrent que vous avez intérêt à prévoir plusieurs accompagnements pour pouvoir les diversifier et rendre leur répétition plus discrète ?

Quelques notes préalables avant de le remplir :

– à moins que l’inverse ne soit spécifié, tous les morceaux cités sur ce billet sont des exemples utilisés à nos tables. La plupart viennent d’une même campagne, mais certains exemples sont tirés d’autres parties afin de mettre en avant des techniques employées durant ces dernières ;
– il est évident que nous n’avons pas mis tous les morceaux utilisés lors de la campagne en question et que rien ne vous empêche d’ajouter vos chansons favorites, vos effets sonores les plus pratiques ou la dernière reprise de Paint it Black que vous venez d’entendre ;
– quels que soient nos goûts et les vôtres, l’accompagnement sonore est certes un ajout agréable, mais il sera ni obligatoire ni le cœur de vos parties : ce sera vous, le jeu et votre façon de le pratiquer. Donc, ne vous laissez pas intimidés par la longueur de ce billet ;
– comme Monsterhearts met en scène des adolescents, il n’est pas rare que l’on cherche à utiliser des musiques qui soient celles écoutées par les lycéens de nos jours. Ce n’est probablement pas la meilleure approche. En effet, il vaut sans doute mieux privilégier l’émotion recherchée au « réalisme », et donc, avant tout, des morceaux qui évoquent l’adolescence chez vos joueurs. Souvent, cela implique de passer la musique qu’ils écoutaient à cet âge, mais ce n’est pas obligatoire. Il est par exemple tout à fait possible de citer des œuvres qu’ils connaissent et qui évoquent cette période (La B.O. de Life Is Strange par exemple, s’ils y ont joué). Vous pouvez également, comme bien trop de séries Netflix ou le film Mario, utiliser des reprises modernes de chansons qui leur évoquent des souvenirs, afin d’unir plusieurs générations autour de la table ;
– dans le cas de la campagne qui sert de base à ce billet, même si tous n’étaient pas de la même génération, la plupart des joueurs étaient adolescents dans les années 1990 et 2000. Notre coquetterie dusse-t-elle en souffrir, on n’aurait sans doute pas pu vous le cacher bien longtemps de toute façon ;
– ce questionnaire est juste fait pour poser les bases de votre accompagnement sonore. L’idéal est de commencer avec assez peu d’éléments et de le faire évoluer au fur et à mesure des parties. Procéder ainsi vous évite de vous mettre une pression de tous les diables et vous permet de gagner progressivement en variété, de vous adapter aux faits de jeu, etc. Là, forcément, comme on parle essentiellement d’une campagne qui a déjà eu lieu, c’est un peu différent.

1°) Cadrage général de la campagne

Les questions ci-dessous ne servent pas à choisir des morceaux directement, mais à gagner en rapidité et en cohérence, en définissant une méthode pour les choisir, les endroits où aller les chercher, etc.

Comment décririez-vous l’ambiance sonore générale de votre campagne ? Quels styles musicaux ? Quelles influences ?

L’ambiance sonore générale de cette campagne devait reposer sur trois piliers.

Le premier est sans doute la conséquence logique des goûts et de la génération des joueurs. L’idée était de partir d’une base évoquant le métal alternatif et le rock gothique des années 90 et 2000, ainsi que leurs descendants plus actuels. Bien sûr, il était prévu de pouvoir en sortir, principalement lorsqu’il s’agirait de caractériser les personnages ou certains lieux, et de faire ressortir leurs singularités.

Ensuite, pour s’assurer de coller un peu au genre, le second élément principal était de s’inspirer des musiques proposées par des séries comme Teen Wolf. En effet, via des sites comme tunefind.com, what-song.com ou en consultant leurs bandes-son en ligne, il est facile de profiter du travail de gens qui sont payés pour connaître bien plus d’artistes qu’on n’en connaîtra jamais et pour les sélectionner sur des critères assez proches des nôtres.

Enfin, sans doute sous l’influence de Life Is Strange et de séries au ton similaire, la troisième idée était de regarder du côté du folk indé nord-américain pour offrir des moments plus calmes, voire contemplatifs, tout en rappelant subtilement le cadre dans lequel se situe la campagne. Ceci nous a amenés vers d’autres styles de musiques proposant une ambiance similaire.

Sans surprise, ces trois influences sont poreuses, et il est possible de trouver de nombreux titres permettant d’avoir malgré tout une unité de ton.

Préférez vous des séances majoritairement sonorisées ou que la musique soit plus rare, uniquement présente pour les scènes importantes ?

Même si, dans l’absolu, on a tendance à préférer la seconde configuration, il s’agissait d’une campagne où il y avait presque toujours de la musique en fond. Ceci est principalement dû à l’envie d’utiliser des techniques qui permettent de s’en servir pour communiquer avec les joueurs, mais qui nécessitent d’avoir plusieurs morceaux qui reviennent relativement fréquemment, un peu à la façon d’une station radio. De plus, comme beaucoup de scènes pouvaient évoluer très rapidement, il était ainsi plus facile de s’adapter à la partie.

Est-ce que vous avez d’autres contraintes limitant le choix des morceaux ?

Ce n’était pas le cas ici, mais il nous est arrivé, sur d’autres campagnes, de nous limiter à des morceaux instrumentaux qui ne rappelaient pas le monde réel ou qui utilisaient uniquement des instruments d’une certaine époque, ne comprenaient du chant que dans une langue précise, etc.

2°) Structure et séances

Les questions ci-dessous s’intéressent à la façon dont sont organisées les séances de jeu, et ce que cela implique pour vos choix musicaux.

Est-ce que vous comptez utiliser un générique pour commencer vos séances ? Si oui, lequel ?

Dans le cadre de cette campagne, nous avons utilisé deux génériques de début différents, à savoir un « vrai » générique (Bad Moon Rising par Mourning Ritual) et un pré-générique (Humans Are Such an Easy Prey de Perturbator). Même si la table a accroché au premier, le second lui a volé la vedette au point qu’une partie d’entre nous aille voir le groupe en concert quand il est passé dans notre ville.

Pour que ce soit plus clair, toutes les séances de cette campagne commençaient par une séquence pré-générique qui prenait la forme d’un flash-back. Celui-ci permettait aux personnages de revivre les événements de la fête ayant eu lieu juste avant la rentrée scolaire, mais avec le point de vue d’un personnage différent à chaque fois. Cette soirée avait été le cadre de plusieurs incidents déclencheurs de la campagne (la mort du Fantôme, etc.), même si le contenu de ces séquences était en grande partie improvisé par la MC à partir de ce qu’il s’était passé durant les séances précédentes. L’enjeu du pré-générique était donc à la fois de ritualiser le début de la partie (vous savez, le moment où on arrête de se raconter nos vies et on où commence à vraiment jouer), et de mettre tout le monde dans le bon état d’esprit. Humans Are Such an Easy Prey avait l’avantage d’avoir une introduction très caractéristique et assez inquiétante qui correspondait parfaitement à l’ambiance. La reprise de Bad Moon Rising par Mourning Ritual avait à peu près les mêmes avantages et permettait de respirer à la fin du flash-back, tout en signalant à tout le monde le retour à la « vraie » temporalité de la campagne.

Est-ce que vous comptez utiliser un générique de fin ?

Pas sur cette campagne. Comme on jouait en semaine et que l’on avait tendance à dépasser, le générique de fin n’aurait presque jamais été diffusé en entier. Aussi, réutiliser le générique de début (la reprise de Bad Moon Rising par Mourning Ritual) suffisait largement.

Est-ce que vous avez des morceaux à jouer « par défaut », dont le rôle est de véhiculer l’ambiance et l’identité sonore de votre campagne, quand vous ne souhaitez rien mettre en avant de particulier ou ne savez pas quoi passer ?

Pour la MC, le but de cette question est surtout de savoir où aller piocher quand elle n’a pas forcément d’idée ni d’élément à mettre en avant, et qu’elle souhaite quand même préserver une certaine unité de ton. Il s’agit donc plus ou moins de l’équivalent des silences pour les campagnes qui ne sonorisent que quelques scènes, mais aussi de ce dont on se sert quand il faut lancer quelque chose dans l’urgence.

Pour cette campagne les morceaux « neutres » étaient, avec des nuances :
Millennium Soundtrack Ambient mix, et son ambiance intrigante sans être invasive ;
– de la folk indé américaine, comme on en retrouve par exemple chez Alela Diane ou Lord Huron, ou du post-rock à l’ambiance quasi contemplative, comme ce morceau de Mogwai ;
– du rap très typé années 90, comme Revolutions ou Regimens de L*Roneous Da’Versifier ;
– et enfin des groupes qui nous rappellent qu’on a été adolescents, comme Garbage ou Hole (que vous ne devriez d’ailleurs être obligés d’utiliser si vous êtes MC à Monsterhearts :p).

Est-ce qu’il existe des phases spécifiques que l’on va retrouver à chaque séance ou presque, et que vous souhaitez sonoriser en particulier ?

On a déjà évoqué la scène pré-générique. Du fait de règles maison (qui seront reprises dans Monsterhearts : Volume 2), on souhaitait également mettre en avant un type de scènes spéciales. Ces dernières correspondaient à des moments d’introspection des personnages principaux, où ceux-ci étaient invités à expliquer ce que leur personnage ressentait par rapport à tel ou tel événement de la partie. En général, il n’y en avait qu’une par personnage et par séance, et elles étaient purement contemplatives. Aujourd’hui, sans doute que la reprise de Space Oddity par Ramin Djawadi paraîtrait un choix efficace pour le début de campagne, le temps d’habituer les joueurs à cette mécanique. Puis, lorsque le besoin de leur donner un tour plus mélancolique ou lancinant commencerait à se faire ressentir, on reviendrait à la reprise de Crazy in love par Antony and the Johnsons que l’on avait pas mal utilisé alors.

3°) Les personnages principaux (PJ) 

Les questions ci-dessous s’intéressent principalement à la façon dont vous utilisez la musique pour mettre en avant les personnages, ainsi que les actions ou pouvoirs qui leur sont associés.

Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes spécifiques pour les personnages ? Lesquels ?

Au départ, il n’était pas prévu d’en utiliser, principalement à cause de l’idée fausse que Monsterhearts comportait moins de ces « moments de bravoure » qui mettaient en valeur certains personnages par rapport à des jeux plus classiques. Dans les faits, c’était une erreur. C’est juste que ces moments ne sont pas scriptés (forcément) et arrivent de façon plus organique. Néanmoins, par la force des choses, certains des morceaux indiqués dans les réponses ci-dessous sont devenus de plus en plus liés aux personnages, au point de se transformer en véritables thèmes.

Est-ce que vous souhaitez sonoriser certains pouvoirs ou capacités des personnages ?

Même si ce n’est pas réellement une capacité au sens où on l’entend d’habitude, tous les personnages principaux peuvent succomber à leur « démon intérieur », qui correspond plus ou moins à l’idée de laisser éclater au grand jour leurs instincts les plus monstrueux. Typiquement, pour le Loup-garou, c’est le moment où il se transforme en une immense boule de poils et où il ne vaut mieux pas croiser sa route. Durant certaines campagnes, les démons intérieurs des personnages avaient un morceau attitré, à la fois pour mettre en avant ce qui était en train de se produire, et s’assurer que le projecteur soit sur eux jusqu’à la fin de la scène. Par exemple, I Am Above d’In Flames permettait de jouer le moment où le Fantôme croyait rejeter le monde, mais paniquait en comprenant que c’était en réalité ce dernier qui n’en avait plus rien à faire de lui.

Sonoriser les démons intérieurs des personnages principaux offre plusieurs avantages. Tout d’abord, lorsque ces derniers sont encore dans leur état normal, cela vous permet de passer le morceau à un volume assez faible pour sous-entendre qu’ils deviennent nerveux et peuvent craquer, ou que la tentation de gérer certaines situations sans retenir les instincts les plus inhumains se fait pressante, etc. De plus, c’est un bon moyen de créer de petites phases de jeu assez intenses.

Par exemple, il nous est arrivé assez fréquemment d’utiliser Anger de Downset pour représenter le démon intérieur du Loup-garou ou de la Goule qui peuvent tous les deux être des mues assez agressives, voire franchement violentes. Cette chanson est caractérisée par une longue montée qui dure une minute. Une astuce qui marche assez bien est de lancer le morceau afin de signifier au personnage concerné que la colère est en train de le submerger, et qu’il va falloir qu’il trouve une solution en urgence pour se calmer avant de succomber à son démon intérieur. Arrivé à 50 secondes, le chanteur crie « anger », ce qui signale intuitivement le début de la phase critique, le dernier moment où il est encore possible pour le personnage d’arrêter le processus, et les trois « boom » dix secondes plus tard sanctionnent le basculement. Soit le morceau a été arrêté avant, parce que le personnage a réussi à reprendre le dessus ou à s’enfuir là où il ne pourra nuire à personne, soit le morceau continue et le démon intérieur est lâché sur ceux qui ont le malheur d’être autour de lui à ce moment-là.

Autre astuce, l’Ombre possède une action qui lui permet d’imiter celles de ses petits camarades, pour peu qu’ils l’aient blessée ou soignée. Lorsqu’elle utilise leur action, passer le morceau associé au démon intérieur du personnage dont elle a volé le pouvoir fait toujours son petit effet, si possible à un volume assez bas ou dans une autre version.

Est-ce que vous utilisez des déclencheurs musicaux ?

Les déclencheurs musicaux correspondent à une règle que nous avons l’habitude d’utiliser à nos tables et qui sera présentée dans Monsterhearts : Volume 2. En très rapide, l’idée est que chaque joueur est averti en secret que quand vous passez tel morceau spécifique, son personnage ressent une émotion bien précise que vous lui avez indiquée au préalable. Le joueur décide bien entendu de ce que son personnage en fait, et il peut choisir de ne pas l’exprimer, mais pas ignorer qu’il ressent quelque chose de particulier à ce moment précis. C’est en partie à cause de cette règle qu’il était nécessaire d’avoir un fond sonore très présent, et de disposer de morceaux pouvant passer plusieurs fois par soirée.

Quelques exemples de déclencheurs musicaux issus de la campagne en question :
Crucified de Ghost rappelait au Vampire qu’il avait été pourchassé et trahi parce qu’il essayait de se montrer plus humain et que cela l’avait rendu vulnérable ;
Little Sister de Queens of the Stone Age rappelait au Sorcier le besoin de veiller sur le Fantôme qu’il voyait comme sa petite sœur et dont il avait causé la mort ;
One Second de Paradise Lost renvoyait l’Âme damnée à ce moment précis de la fête de rentrée, où elle avait demandé le service de trop à son bienfaiteur démoniaque, ce qui avait mis tous les éléments de la campagne en branle ;
Show Me How To Live d’Audioslave était, pour le Fantôme, un moyen de retrouver du courage et d’assumer sa nouvelle non-vie, même s’il allait sans doute avoir besoin d’aide pour y arriver ;
The Devil in I de Slipknot indiquait au Vampire qu’il sentait la rage monter en lui ;
The River de Bruce Springsteen renvoyait un autre Fantôme au fait que ses parents étaient les seuls membres de sa famille à avoir réussi et que s’il ne réussissait pas à s’illustrer sur le terrain, il ne vaudrait sans doute pas mieux que tous ses cousins qu’il méprisait ;
You Call Me a Bitch Like It’s a Bad Thing de Halestorm évoque à la Louve-garou son besoin d’indépendance et de ne pas se faire expliquer la vie par des humains qu’elle pourrait briser en deux, sous prétexte qu’elle a l’apparence d’une simple lycéenne ;
– etc.

4°) Les autres personnages (PNJ) 

Les questions ci-dessous s’intéressent à la façon dont vous utilisez la musique pour mettre en avant certains personnages non-joueurs. Elles sont très semblables à celles posées pour les PJ.

Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes spécifiques pour les personnages ? Lesquels ?

Quelques personnages secondaires très spécifiques avaient des thèmes, mais ils étaient peu nombreux : la directrice du lycée, le vieux concierge flippant et, plus généralement, les « méchants ». L’idée était d’être certains de ne pas de voler la vedette aux PJ. Toutefois, d’autres personnages qui leur étaient liés pouvaient avoir droit à un morceau spécifique, justement parce qu’il s’agissait en général d’un moyen de les mettre à eux en avant : le bienfaiteur démoniaque de l’Âme damnée, l’émissaire du royaume des Fées, l’ancienne qui a tout appris à la Sorcière, etc. Le plus simple pour ce type de personnages est de prendre l’exemple de certains des parents des PJ.

Dans cette campagne, le Sorcier et le Fantôme était frères et les fils de la shérif. Leur relation avec leur mère était compliquée, dans le sens où elle était une vraie force de la nature que rien ni personne n’arrêtait, et qui les protégeait de tous ceux qui pouvaient s’en prendre à eux. Néanmoins, elle était aussi peu compréhensive et brutale avec ceux, parfois même violente. Son thème était Is she still with you? d’Hans Zimmer et Junkie XL. Selon les situations, il pouvait aussi bien sonner comme l’arrivée de la cavalerie ou d’un croquemitaine.

À l’inverse, les parents de l’Âme damnée correspondaient à l’image que l’on pourrait se faire de la famille parfaite : toujours positifs, toujours souriants, toujours encourageants, mais probablement jamais sincères et instillant une forme de pression sourde et continue. L’idée était d’avoir un thème qui puisse apparaître d’abord réconfortant et positif, mais qui détonne suffisamment avec le reste de l’accompagnement sonore pour sonner factice, puis franchement vénéneux. En d’autres termes, sans apparaître agressif ou violent, il devait donner l’envie d’écourter toutes les scènes avec ces parents-là. Le choix se porta sur Going out de Joe Hisaishi.

Là encore, donner des thèmes aux parents permet de mettre en scène les réactions de la MC de façon un peu différente : balancer discrètement Going Out alors que les personnages sont en train de faire une fête interdite chez l’Âme damnée pour annoncer l’imminence du retour de ses parents ou la difficulté pour son copain de sortir de la maison au petit matin sans être vu. De même, passer Is she still with you? peut faire planer la menace de la shérif alors que les personnages voient des gyrophares disparaître dans la nuit, ou au contraire son arrivée tonitruante alors qu’ils sont dans une très mauvaise passe, etc.

Est-ce que vous souhaitez sonoriser certains pouvoirs ou capacités de ces personnages ?

Pas spécialement. C’est arrivé, notamment lorsqu’on jouait avec la première édition, mais, un peu à l’instar de l’évolution des règles sur les méchants qui se sont elles aussi simplifiées, on a eu plutôt tendance à ne plus le faire ou uniquement pour des PNJ très particuliers. Par exemple, on le ferait sans doute encore pour l’ennemi juré de l’Élue si quelqu’un jouait cette mue.

5°) Les musiques liées à d’autres éléments spécifiques de l’univers. 

Les questions ci-dessous s’éloignent un temps des personnages pour s’intéresser aux autres spécificités de votre univers que vous pourriez souligner par votre accompagnement sonore.

Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes pour des objets spécifiques ? Lesquels ?

L’exemple le plus fragrant sur cette campagne est sans doute une porte. Plus exactement, il s’agit de la porte fermée à clef qui séparait la cuisine de la cave dans la maison de la maire de la ville. Cette dernière était également la mère de la Louve-garou et les personnages la soupçonnaient alors de manger de la chair humaine. Personne n’aurait pu imaginer que cette porte improvisée prenne tellement d’importance qu’elle finisse par avoir son propre thème, mais, à la fois parce que ce qu’elle cachait s’annonçait épouvantable et parce qu’il était très difficile de l’ouvrir sans attirer l’attention de la maîtresse des lieux, ce fut pourtant le cas. Ce morceau, Sugarbread de Soap&skin, a d’ailleurs contribué à la rendre bien plus menaceante encore.

Le second exemple est un élément faisant partie de l’univers de Monsterhearts, mais qui est volontairement laissé dans l’ombre afin que chaque personnage puisse définir la forme qu’il prend à ses yeux : l’Abysse. L’idée est donc ici de lui donner une apparence différente pour chacun, mais d’utiliser une même musique pour faire comprendre aux joueurs qu’il s’agit bien de la même force. Comme cette dernière est sombre, inquiétante et déstabilisante, Yonkers de Tyler the Creator (éventuellement en version instrumentale) marche assez bien, à condition bien sûr que vos joueurs ne connaissent pas déjà le morceau. Si la MC utilise la réaction qui consiste à faire que ce soit l’Abysse qui rentre en contact avec les personnages de son propre chef (plutôt que l’inverse), l’intérêt de lui donner un thème est d’autant plus évident.

Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes pour des lieux spécifiques ? Lesquels ?

Sur cette campagne, quelques lieux avaient des thèmes spécifiques, comme la chaufferie sous le lycée ou le restaurant des parents de l’Âme damnée, mais ils restaient très rares. En effet, même s’il est facile de prévoir des morceaux pour chacun des lieux importants du lycée ou de la ville, le souci était là encore de garder le projecteur braqué sur les personnages et non sur leur environnement. Et pour être honnêtes, nous avons fini par oublier la plupart des ces thèmes.

La seule exception est peut-être celui du sanctuaire caché derrière la chaufferie du lycée qui abritait une créature surnaturelle basque, un Basajaun, ce qui peut surprendre mais s’explique facilement quand on connaît l’histoire de l’Oregon. Sans surprise, le thème était donc un chant basque remis au goût du jour, à l’image de Txoria Txori par Piea Luzzi.

Sans doute qu’aujourd’hui, on ne résisterait pas à l’envie d’adjoindre un thème aux vieilles friches industrielles qui existaient en ville afin de leur ajouter une aura à la fois éthérée et mystèrieuse, comme Dancer in the Dark de Scratch Massive par exemple.

Est-ce que vous souhaitez utiliser des thèmes pour des moments spécifiques ? Lesquels ?

Autant il arrive fréquemment de prévoir un accompagnement pour un événement spécifique ou une scène donnée, autant il est beaucoup plus rare de le faire pour un moment de la journée ou une saison. Mais voici deux exemples.

Le premier est très anecdotique et tient plus du clin d’œil qu’autre chose. Sur une de nos campagnes, si les personnages se rendaient dans la bibliothèque du lycée, mais uniquement de nuit, ils pouvaient entendre l’inquiétant The Scriptorium de la bande-son du Nom de la rose. Si vous avez vu le film, vous comprenez sans doute la blague. Néanmoins, indépendamment de celle-ci, ce morceau permet quand même de jouer quelques scènes sympathiques sur place.

Un autre exemple intéressant est celui des débuts de matinée. Pour les personnages qui n’étaient pas sous la pression de leurs parents, il s’agissait du seul instant de calme avant de se rendre au lycée et de devoir affronter toutes ses luttes de pouvoir permanentes. Il était donc intéressant de faire jouer ces instants de temps à autre, par exemple comme des respirations ou des moments d’introspection, afin de créer un effet de contraste avec tout le reste de la journée. Parmi les morceaux utilisés, et selon les nuances que vous voulez faire ressortir, il y a notamment Civilian de Wye Oak, ce remix de Back in The Game du Wu-Tang Clan, celui-ci d’Everyday Struggle de Notorious BIG, et même The Message de Nas.

6°) Les musiques liées à un type de scènes ou de phases de jeu 

Les questions ci-dessous ne s’intéressent plus aux personnes et aux éléments qui peuplent votre univers, mais davantage à la façon dont vous voulez narrer ce qui s’y passe.

Est-ce qu’il y a un type de scènes que vous n’avez pas encore évoqué et qui tirerait particulièrement parti d’un accompagnement sonore ?

Sans doute à force de jouer à des jeux d’horreur et de faire des playlists à l’avenant, il y a un type de scènes qui reste très intéressant à sonoriser dans Monsterhearts et pour lequel on peut facilement se retrouver pris au dépourvu : les moments réellement positifs. Il peut s’agir par exemple de ces instants où les personnages oublient temporairement tout ce qui leur complique la vie, relâchent la pression et profitent du présent ensemble. Pour ces moments de joie simple et partagée, vous pouvez utiliser la reprise de Kids in America de Shaka Ponk. Il peut également s’agir de tous ces scènes où ils se sentent enfin compris et ont le sentiment d’appartenir à une communauté, fusse-t-elle composée uniquement de deux personnes. Dans ce cas, le plus simple est sans doute de se tourner vers la bande-son de la série Sense 8.

Lorsqu’on parle de playlist et de Monsterhearts vient fatalement le moment où on va se demander s’il faut sonoriser les rapports intimes de vos personnages, ou du tout moins, ceux où ils sont sur le point de se faire submerger par leur désir. Si nous avons utilisé pendant un moment A.D.I.D.A.S. de Korn de cette façon, il s’agissait plus d’un clin d’œil entre nous et d’une private joke. Vu la multiplicité de formes que peut prendre le désir et les situations qui le provoquent dans ce jeu, choisir un morceau unique pour l’accompagner serait sans doute un contresens.

Est-ce qu’il y a un type de scènes qui devrait être si récurrent que vous avez intérêt à prévoir plusieurs accompagnements pour pouvoir les diversifier et rendre leur répétition plus discrète ?

Très honnêtement, comme tout était organisé autour des personnages, cela n’a pas été réfléchi ni anticipé de cette façon à l’époque. Néanmoins, il y avait bien un type de scène pour lesquelles de nombreuses musiques différentes étaient prévues afin de pouvoir diversifier l’accompagnement sonore : les quelques minutes de tension où la situation, déjà étrange, risque de vraiment mal tourner, mais où ce n’est pas encore le cas. Bien entendu, si vous avez l’habitude de sonoriser vos parties, vous avez sans doute déjà de nombreux morceaux pour ce type d’effets.

Voici trois exemples utilisés dans cette campagne, avec des intensités diverses et des nuances :
Nice to meet me de Zack Hemsey, quand on passe d’une situation normale à tendue ;
Mind War de Rebel Familia, quand on est déjà bien avancé dans l’étrange ;
Antibody de Gazelle Twin, et qui peut aussi être un sérieux candidat comme thème de l’Abysse.

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Pour conclure, on espère qu’indépendamment de nos goûts, cet exemple vous aura été utile. Et parce qu’on ne se refait pas, voici quand même une longue « playlist de Frankenstein » (attention, le lecteur ci-dessus est limité à 100 titres, mais il y en a bien plus et il vaut mieux cliquer ici). Cette dernière est faite à partir des morceaux utilisés lors de nos campagnes passées et de quelques autres qui nous ont tapé dans l’oreille plus récemment. N’hésitez pas à nous partager vos propres listes en commentaire de ce billet. Enfin, Actualité oblige, on vous rappelle également le lien vers la campagne participative de Monsterhearts.

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