Wastburg

Wastburg est un JdR publié tout début 2013 chez les XII singes. Il propose aux joueurs d’incarner des gardes qui tiennent plus de la petite frappe qu’autre chose dans une cité crasseuse et corrompue, elle-même tirée du roman éponyme de Cédric Ferrand. Ce dernier a eu l’occasion de sévir sur plusieurs gammes de jeux de rôle depuis une dizaine d’années, ainsi que sur la deuxième incarnation de Casus Belli, avant de passer au roman avec Wastburg et le futur Sovok. Outre de se livrer à une opération clandestine – mais peu discrète – visant le retour  en grâce d’Alliance Ethnik, il se prête au jeu des « 5 trucs » en nous faisant part de ce qu’il a appris en travaillant sur Wastburg !

Pour le blog de Cédric : http://hu-mu.blogspot.com/
Pour sa bio : http://www.legrog.org/biographies/cedric-ferrand
Plus de détails sur le jeu : http://www.legrog.org/jeux/wastburg
Et pour une interview très intéressante de Cédric : Par ici.

 

1) La quadrature du système de jeu

 

Je peine avec les usines à gaz. J’aime quand c’est simple et funky, l’esprit funky. J’ai donc suivi ma pente naturelle et je me suis laissé aller en adoptant un système de jeu qui me plaît par sa simplicité et ses liens avec le « Oui, mais… » du théâtre d’impro sans me poser la question de base, qui est « Qui c’est qui, mon public cible ? ». Or j’ai le sentiment, avec le recul, que mon approche minimaliste pour les règles est un handicap quand il faut vendre le jeu à certains joueurs. J’ai fait plaisir à une frange minoritaire des amateurs de simplicité, mais je me suis coupé du vaste monde des autres joueurs. Et je ne parle pas des ingénieurs en minimaxage, mais du joueur lambda qui a l’impression que parce que c’est simple, c’est simpliste. Car pour beaucoup de monde, un livre de règles qui tient en 32 pages format A5, ça ne fait pas sérieux. Ça donne l’impression que je fais le minimum syndical (ce qui n’est pas entièrement faux, je dois le reconnaître).

Je dois dire que je m’attendais à ce que la communauté propose des règles alternatives. Il y a toujours des gens pour proposer des adaptations, des hacks et tout le toutim. Or je n’ai rien vu passer pour Wastburg. Personne n’a proposé une version motorisée par l’Apocalypse ou bien une variante en Système D6. Je n’en suis pas déçu, quelque part ça veut dire que le système de jeu est suffisamment imbriqué dans l’ambiance que je souhaitais offrir pour que les gens s’abstiennent de triturer des règles alternatives. Mais je me dis qu’avec un système de jeu différent, même pas officiel, le cadre de jeu pourrait attirer plus de monde. Et oui, c’est un appel du pied.

 

2) Faire ça à deux, c’est mieux

 

Le seul livret que j’ai écrit en solitaire, ce sont les règles. Tout le reste, je l’ai fait en collaboration avec d’autres auteurs. Ce n’est pas pour rien que je trouve que les règles sont ce qu’il y a de moins bandant dans mon jeu : si j’avais écrit ce livret à 4 mains, sans doute que les règles seraient totalement différentes. Elles me ressembleraient moins, mais elles seraient sans doute plus raccord avec mes intentions narratives (pour reprendre la marotte de Sébastien Delfino). Car dans les autres livrets, la collaboration a donné de belles choses. Philippe Fenot m’a obligé à poser un autre regard sur ma cité quand nous avons dû la présenter. Tristan Lhomme m’a semblé heureux de ne pas écrire « tentacule » dans un scénario d’introduction qui me semble bien foutu pour donner le ton de l’univers. Michel Croitoriu m’a incité à recycler un personnage central de la série Castle pour réparer une connerie que j’avais commise (voir le point 4). David Brosselin m’a permis d’honorer une vieille amitié tout en coécrivant un scénario faisant plusieurs clins d’œil à nos vies de jeunes adultes. Et que dire de l’aide de jeu signée par Jérôme Larré et François-Xavier Cuende : elle est tellement bien foutue qu’on m’en parle plus que de mes propres règles.

Le roman a été une traversée en solitaire, il était hors de question que je recommence tout seul dans mon coin pour la version en JdR. On ne peut pas à la fois faire la promotion de la narration partagée et s’enfermer, en tant qu’auteur, dans une tour d’ivoire. C’est extrêmement plaisant d’écrire à deux. Ça évite de s’enfermer dans la routine, l’autre nous remet gentiment en question en abordant les choses sous un autre angle. Il n’y a que des avantages. Et puis, pas moyen de procrastiner : l’autre attend votre version du fichier pour avancer. C’est idéal pour un type comme moi qui a tendance à s’éparpiller.

 

3) Donner les clés à d’autres

 

Et puis un jour, vous dites à votre éditeur « Pour le prochain livret, j’écris que dalle. Par contre, y’a un type qui a des idées pour deux, il veut écrire un truc sur la Purge. » C’est Gauthier Lion. Non seulement ça me permet de me dégager de la gamme pendant quelques mois pour me permettre de bosser sur autre chose, mais ça valide un truc important : si j’ai bien fait mon travail, d’autres doivent pouvoir prendre la suite de ma création. Et dans le cadre de Gauthier, c’est clair qu’il s’est approprié le cadre de jeu. Il va dans des coins de Wastburg où je n’ai jamais foutu les pieds (par goût ou par manque de curiosité), il n’essaye pas de m’imiter ou de me pasticher, et il a ses violons d’Ingres bien à lui, qui s’intègrent parfaitement à Wastburg.

Car j’avais toujours dit que je voulais agir comme un réalisateur qui se fait plaisir sur le pilote d’une série télévisée, puis qui s’éclipse pour laisser à d’autres le soin de boucler les 12 ou 21 épisodes restants de la saison. Et ça marche. D’autres sont capables de faire du Wastburg aussi bien sinon mieux que moi. Je garde un droit de regard pour éviter que la gamme ne parte en sucette, mais je deviens à mon tour spectateur de cette histoire.

Et de la même manière qu’il est plaisant en tant que MJ de voir un joueur faire une proposition narrative qui vient transcender le scénario initial et vous surprendre à votre propre jeu, il est éminemment plaisant de se rendre compte qu’on en est pas seulement créateur, mais déclencheur. Car on écrit un jeu dans l’espoir que d’autres vont se l’adjuger pour le faire jouer à leur table. Mais qu’un auteur puisse aisément se mettre dans vos petits souliers, ça va une étape encore plus loin. Ça ne veut pas dire « N’importe qui peut faire ce que je fais » mais « J’ai posé des jalons, bonne descente à vous. Et pas de hors-piste, merci. »

 

4) Du sexisme involontaire

 

Je ne vais pas revenir en détail sur ce qui m’a poussé à écrire de la fantasy masculine, mais le fait est que j’ai écrit un roman qui ne laisse pas beaucoup de place aux femmes.

Et mécaniquement, j’ai repris ce biais involontaire dans la version JdR en proposant de ne jouer que des gardoches masculins. Et des gens ont eu l’intelligence de me le faire remarquer sans m’accuser de quoi que ce soit. C’était trop tard pour réparer ce tort dans le roman (enfin, je pense ajouter un chapitre ou deux quand la Pléiade me rééditera), mais il y avait un coup à jouer pour le JdR. Et on a donc essayé de faire de ce manquement un moteur narratif pour un scénario dont la résolution vient par la suite normaliser la présence des femmes dans la garde de Wastburg.

Bon, c’est jamais agréable de se faire dire qu’on est sexiste, même quand c’est malgré soi. Mais c’est le genre de coup de pied au cul qui fait avancer. À tel point que je suis en train de travailler sur un jeu actuellement (titre de travail : D3, où l’on incarne des flics des Affaires internes dans la riante ville de Détroit) et que la question de la femme est centrale dans ma scénarisation. Sans verser dans l’action militante, j’essaye même de jouer avec certains a priori genrés des joueurs pour proposer une intrigue différente.

Donc acte. J’ai tendance à écrire des trucs de mâle blanc qui titille la quarantaine. Il ne s’agit pas de me renier, mais de mettre la pédale douce sur ce nombrilisme.

 

5) Le romancier n’est pas le mieux placé pour adapter son univers en JdR

 

Primo, j’ai le nez dans ma création, je manque clairement de recul. Je m’arc-boute sur des idées qui sont triviales en JdR, j’ai ma propre pratique du JdR qui est quelque part un énorme biais sur mon approche du jeu. C’est pas malin. Et puis j’ai passé des mois à penser à Wastburg pour pouvoir écrire ce roman, y replonger si vite après sa parution, c’est casse-gueule. J’ai pas laissé décanter le truc suffisamment. Les gens sont persuadés que j’ai des mystères cachés dans ma manche, que je connais à l’avance le nom du prochain burgmaester, que j’ai déjà fait des plans sur la comète. La vérité, c’est que je ne suis pas un démiurge. Je ne suis pas obnubilé par Wastburg, je n’anticipe pas mes histoires, je n’ai pas de carnet avec la base d’une grammaire loritaine. J’ai même été bien emmerdé quand il a fallu dessiner le plan de la cité : je ne m’étais jamais posé la question de savoir à quoi ressemblait la cité vue du ciel.

Pire, jouer dans Wastburg me contraint à y voir tous les défauts de construction. Je n’ai pas écrit le roman en le pensant comme un univers de JdR. Du coup en l’adaptant en jeu, je me suis confronté à tous les petits détails que je n’aborde pas dans le roman, mais que je trouve incontournables maintenant que j’ai pris le temps d’y penser. Car dans le roman, c’est moi qui dicte le mouvement de la caméra. Si un truc est flou, je me contente de ne pas insister dessus et de faire un plan large pour noyer le poisson. En JdR, je livre les décors au MJ. Et je vois bien qu’il y a des trucs que j’ai négligés. Que j’ai peint à la va-vite, en trompe-l’œil. J’ai fait l’impasse sur des éléments. C’est pas dramatique, mais si je faisais jouer du Star Wars à George Lucas en lui mettant sous le nez tout l’illogisme de son scénario, ça l’énerverait. Ben moi, c’est pareil, sauf que je ne peux pas sortir un autre montage de l’histoire. C’est fait, c’est gravé dans le marbre, je dois vivre avec ça. Et le JdR, c’est aussi se confronter à ces erreurs. Et des fois, je ne vois qu’elles, j’en oublie les trucs autour qui fonctionnent pourtant bien.

Et en bonus …

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