Star Wars

Je ne vais pas vous faire l’injure de vous présenter Star Wars. Les films, vous connaissez déjà : un drame sur le malaise d’un fermier orphelin aux pulsions incestueuses qui, ne pouvant rejoindre ce qui fait office d’académie Top Gun par chez lui, entame une carrière dans le grand banditisme et le terrorisme intergalactique. Ayant été décliné pour la première fois en jeu de rôle il y a 27 ans, Star Wars a connu une nouvelle adaptation très remarquée en 2012 qui a notamment obtenu le Grog d’or l’année dernière. Depuis, son éditeur continue à sortir des jeux sur cet univers, chacun avec un point de vue assez différent.

Pour une fois, ce « 5 trucs » n’est pas écrit par un auteur du jeu en question, mais par celui qui a coordonné la traduction de l’ensemble de la gamme : Sandy Julien. Ayant écrit sur des gammes comme C.O.P.S., il a surtout traduit ou participé à la traduction d’une bonne centaine de livres de jeux de rôle depuis une dizaine d’années : Anima, Anneau unique, D&D, L5RS7M, Star Wars, Trône de fer, Warhammer, Warhammer 40k, etc. Alors du coup, on triche un peu. S’il va bien surtout piocher ses exemples dans Star Wars (et un peu dans Anima), plus que des éléments sur le game design, ou sur les relations entre auteurs et éditeurs, ce sont surtout 5 astuces pour améliorer ses textes dont il va nous parler aujourd’hui !

Pour avoir plus de détails sur Star Wars (FFG) : http://www.legrog.org/jeux/star-wars-ffg
Pour lire la biographie de Sandy : http://www.legrog.org/biographies/sandy-julien
Pour découvrir le site de Sandy : http://sandyjulien.wordpress.com/

 

0 – Introduction

 

Je n’ai pas participé à énormément de jeux en tant que créateur et je ne me considère pas comme un auteur. Je suis avant tout un relecteur et un traducteur. Quand Jérôme m’a demandé de contribuer à cette série d’articles pour son blog, je ne voyais pas vraiment ce que je pouvais apporter d’intéressant… Je vais donc me contenter de parler de ce que je connais bien : la rédaction de texte en français.

Étant plus ou moins autodidacte, je n’ai eu d’autre choix que de rassembler un certain nombre de « trucs et astuces » au fil des ans. Lorsque je relis les textes fournis par d’autres traducteurs (on voit toujours mieux les erreurs des autres que les siennes), je retrouve assez fréquemment des bugs communs de syntaxe et de rédaction. Ça ne vous sera donc pas très utile pour développer des idées de game design qui claquent, mais ces cinq astuces devraient vous permettre de pondre un texte plus lisible, plus clair et plus harmonieux.

Les exemples que je donne sont issus de textes que j’ai reçus, principalement sur la dernière version de Star Wars et sur Anima. Les responsables ont tous été passés par les armes.

 

1- Pensez à la cohérence globale du texte

 

Évitez de relire une seule phrase à la fois. Cela vous permettra par exemple de remarquer les glissements entre le singulier et le pluriel.

Exemple :

Depuis un millier de générations, avant leur destruction totale par les Forces du Chocolat Noir, l’Ordre Oreo maintenait la paix dans d’innombrables mondes grâce à leur sagesse, leur maîtrise de la Crème Vanille, et leurs légendaires armes glacées au sucre. Il est, depuis des éons, le symbole de la liberté.

 

C’est un souci récurrent dans les traductions de l’anglais, qui ne fait pas de distinction entre un groupe et ses membres. Là, on a un exemple d’hésitation constante entre singulier et pluriel. Si l’auteur ne l’a pas remarqué, c’est aussi parce que la phrase est bien longue (si ça se trouve, il est mort asphyxié en essayant de la lire tout haut).

Une phrase longue n’est pas forcément incohérente ni illisible. Cependant, utilisez ce vieux truc de Jedi : lisez à haute voix celles qui dépassent deux lignes. Si vous ne parvenez pas au point final sans devenir tout(e) bleu(e), c’est qu’il y a un problème de longueur ou de ponctuation (car les virgules, points-virgules et deux-points sont les tubas du petit plongeur littéraire et lui permettent de respirer dans les abysses de sa prose).

 

2- Attention aux verbes « ternes »

 

On emploie à tout va des verbes « ternes » qui signifient à peu près tout et son contraire : être, avoir, aller, dire…

Exemples :

« […] mais on pense qu’ils sont parmi les premiers à avoir peuplé ce continent… »
« Ils ont eu la permission de partir. »

 

Ici, il vaudrait mieux écrire :

« on pense qu’ils comptent parmi les premiers… »
« ils ont obtenu la permission… »

 

Les verbes comme être et avoir ne doivent bien sûr pas disparaître de vos textes, mais vous gagnerez à ne pas les employer trop souvent. Cette méthode vous permettra également de varier votre expression et d’éviter un autre écueil trop courant : les répétitions.

Pour vous aider, vous pouvez par exemple vous procurer :
Savoir rédiger, collection Les indispensables chez Larousse : ce petit bouquin vaut moins de 4 € neuf, et rien que pour les pages 92 à 131, il devrait faire partie de votre bibliothèque. Les pages 114 à 118 devraient provoquer l’Illumination chez ceux qui abusent des verbes être et avoir.
Dictionnaire des combinaisons de mots – Les synonymes en contexte, collection « Les Usuels » (c’est une manie, d’appeler les collections « les machins », « les trucmuches » ?) chez Le Robert : là, c’est une pavasse qui coûte 23 €, mais ils seront bien dépensés. Comment ça marche ? Exemple : j’ai une phrase comportant le mot « phénomène », et celui-ci devient plus… ben il est vachement plus prononcé, le phénomène en question, mais je ne sais pas trop comment exprimer ça. J’ouvre mon dico des combinaisons de mots et à l’entrée phénomène je découvre qu’on peut accélérer, accentuer, amplifier, généraliser, grossir, intensifier, aggraver ou radicaliser un phénomène. Ce dico vous donne d’innombrables verbes, noms et adjectifs à associer à chaque mot. C’est une arme redoutable pour diversifier votre expression et vous affranchir une bonne fois pour toutes des verbes ternes.

 

3- Allégez votre style

 

Beaucoup de relecteurs vous diront que votre style n’est pas fluide et que vos phrases sont trop lourdes. Pas la peine de vous liquéfier ni d’entamer un régime littéraire, pour autant. Tout le monde est confronté à ce problème. Et histoire de ne rien arranger, lorsqu’on relit une phrase qu’on a écrite soi-même, il est particulièrement difficile d’identifier le superflu qui l’alourdit. Aussi, on développe ses propres trucs avec l’expérience. Voici cinq méthodes que j’utilise systématiquement.

* Le syndrome de Kiki : quand une phrase comporte une succession de subordonnées emboîtées, elle devient illisible. Sortez tous les « qui » et « que » de votre phrase. Si ça donne quelque chose du genre « qui qui qui » ou « qui que qui », voire « qui que » tout court… il y a une (ou deux) subordonnée(s) de trop dans cette ville, gringo.

Exemple :

Ce qui suit est donc une liste qui comprend les armes les plus communément trouvées dans les armureries des forces armées ainsi que dans les bases secrètes.

 

Il faut simplifier, parfois à mort :

Voici une liste des armes répandues dans les armureries des forces armées et les bases secrètes.

 

Note : ici, tous les « qui » et « que » ont disparu, mais c’est parce que j’ai vraiment poussé le bouchon. Comme dans Highlander, s’il n’en reste qu’un, c’est déjà parfait.

* Les adverbes en « ment » : là, c’est simple comme bonjour. Évitez d’employer plus d’un adverbe qui se termine en « ment » dans une même phrase. En règle générale, limitez l’usage de ces adverbes. Ils sont beaucoup trop longs pour votre bien.

* Les participes présents : en théorie, c’est comme pour les adverbes en « ment » : à éviter sauf quand ils sont strictement indispensables. En pratique, on s’en sert quand même pas mal, même si on ne devrait pas. La surcharge en participes présents est particulièrement courante dans les traductions de l’anglais au français, où on a tendance à traduire tous les verbes en « ing » par un participe présent : c’est un mauvais réflexe qu’il faut corriger.

* Y a trop de virgules ! La place de la virgule dans une phrase n’est pas toujours évidente. Par exemple, lorsqu’on a deux « ni » qui se suivent, on ne met pas de virgule. Quand il y en a un troisième, on est tenu de le faire. Par exemple : « Je n’aime ni les dés ni les cartes » ; « je n’aime ni les dés, ni les cartes, ni les autres systèmes aléatoires ». Quoi qu’il en soit, les règles sont nombreuses ! Je vous recommande de consulter les innombrables sites qui en parlent. Pensez à vous servir d’un signe de ponctuation que l’on sous-estime : les deux points. Quant au point virgule, je suis de l’avis du regretté Cavanna : la plupart du temps, il est inutile et serait avantageusement remplacé par un point ou une virgule. Cela dit, lorsque vous avez du mal à placer les virgules dans une phrase ou qu’il vous faut jongler avec les groupes de mots et les subordonnées pour la rendre lisible, eh bien… il est temps de jeter l’éponge et de scinder la phrase en deux. Voire de la reprendre à zéro !

Exemple de phrase ultra casse-gueule :

En ce qui concerne les premiers, nous leur recommandons d’éviter de lire certains détails des chapitres en Europe et les annexes de ceux-ci, tels que les descriptions des villes et les récits qui dévoilent une grande partie de l’arc narratif, dont il serait préférable qu’ils soient ignorants afin de ne pas gâcher leur plaisir.

 

Déjà, cette phrase s’étend sur quatre lignes. Ensuite, elle est bancale : « les chapitres en Europe » au lieu de « les chapitres consacrés à l’Europe », « qu’ils soient ignorants » qui n’a pas vraiment le sens voulu, etc. Finalement, où placer les virgules pour que la phrase devienne lisible ? En fait, nulle part. Il suffit de couper un tronçon de phrase pour qu’on ait l’occasion de respirer et de mieux comprendre le sens de ce passage :

En ce qui concerne les premiers, nous leur recommandons d’éviter de lire certains détails des chapitres consacrés à l’Europe et leurs annexes, tels que les descriptions des villes et les récits qui dévoilent une grande partie de l’arc narratif. Mieux vaut s’abstenir afin de ne pas se gâcher le plaisir.

 

Il y a sans doute moyen de faire mieux, car j’ai laissé un « que/qui », mais il ne me semble pas trop gêner la compréhension dans ce cas.

Un conseil bonus : tant que vous y êtes, évitez donc au maximum la voix passive.

* Les tournures caractéristiques : il existe trois mots (ou groupes de mots) qui indiquent généralement une maladresse dans la phrase. Il s’agit de « cela » (qui remplace tout et n’importe quoi), de « chose » (idem, et encore plus moche) et de « le fait que/du fait que/fait que ».

La société du Bidule est marquée par son multiculturalisme. Cela est dû au fait que la principauté a été colonisée par des immigrants venus de tout le Vieux Continent.

 

Version améliorée :

On peut attribuer le multiculturalisme de la société du Bidule à la provenance de ses colons d’origine, des immigrants issus de tout le continent.

 

Et si on cherche la concision :

Le multiculturalisme de la société du Bidule provient de ses colons, des immigrants issus de tout le continent.

 

4- Faites-vous aider.

 

Ces trucs ont fonctionné pour moi. Lorsque le temps me le permet, ce qui n’est pas toujours le cas, je les applique systématiquement aux textes que je reçois. Vous aurez cependant du mal, au début, à détecter vos erreurs. La seule solution consiste à recourir à un regard extérieur. Si vous avez la chance d’être relu par quelqu’un qui vous dit tout ce qui cloche dans vos textes, tenez compte de ses remarques et faites de votre mieux pour progresser. Dans un JdR comme dans un roman, le texte, c’est l’équivalent des effets spéciaux au ciné : si on s’arrête dessus, la magie s’éclipse et l’immersion s’interrompt. Votre texte doit presque disparaître et ne laisser derrière lui que les images et les sensations qu’il suscite.

Attention, l’humilité, des fois, ça pique. D’un autre côté, vous n’avez pas le choix. Votre texte finira forcément par être lu par quelqu’un qui ne prendra pas de gants pour vous expliquer que vous écrivez comme un pied… alors, autant commencer par demander l’avis des copains.

Conseil Bonus : procurez-vous un logiciel de correction comme Antidote. Il vous permettra de repérer de petits bugs qui vous ont échappé, mais il sert aussi à détecter répétitions et verbes ternes (entre autres).

 

5 – Lisez beaucoup, mais lisez bien et lisez en français !

 

Nous passons notre temps à lire, en particulier sur nos écrans : SMS, forums, articles divers sur Internet, Facebook… Nous avons donc l’impression d’être de grands lecteurs et de savoir très bien écrire. Une faute corrigée dans le menu d’un vendeur de kebabs, et nous nous prenons soudain pour les Bernard Pivot du fast-food, pourfendant les accords fautifs d’un acerbe trait d’esprit.

Le problème, c’est que nous lisons surtout des textes médiocres, voire merdiques.

Si vous souhaitez écrire correctement, il vous faut bien sûr éviter les fautes de grammaire et d’orthographe. Mais il s’agit d’une condition de base, pas d’un talent d’écrivain formidable qui vous ouvrira les portes de la Pléiade. J’ai eu l’occasion de relire nombre de textes écrits par divers auteurs et traducteurs. Et parfois, j’ai eu l’impression de tomber sur des articles rédigés par un gnou aveugle shooté à la colle UHU. La syntaxe, ça compte. La cohérence des phrases aussi. Le bon usage des expressions également. Et ça, vous aurez beau apprendre le Pièges et difficultés de la langue française de Jean Girodet chez Bordas (8 €, indispensable, c’est la base) par cœur, vous ne le maîtriserez pas autrement que par la pratique.

Par conséquent, lisez, mais lisez bien. Dix pages d’un auteur classique ou célèbre valent mieux que dix heures passées devant des articles sur le web. Lisez de vrais livres, pas des magazines. Et surtout, lisez en français. Je sais que c’est super cool de lire en anglais (ou dans une autre langue, du reste !), mais on n’apprend pas à rédiger correctement un texte français en lisant dans une autre langue. À force de lire en anglais, on finit par adopter certaines tournures de phrases qui n’existent pas en français, et par utiliser des « calques de l’anglais ». C’est super laid.

Ces règles ne sont pas gravées dans le marbre, évidemment. Je suis trop maladroit avec un burin. Vous ne parviendrez sans doute pas à bannir complètement le mot « cela » de vos textes ni à prohiber l’emploi de la voix passive, par exemple. Il m’arrive moi-même de ne pas respecter les points ci-dessus, et de commettre ces erreurs que je repère si facilement chez les autres (je n’avouerai pas, même sous la torture, le nombre de bugs que contenait encore ce texte quand je l’ai rendu en l’estimant « parfait »). Personne n’a suffisamment de recul pour s’auto-corriger efficacement. Mais c’est un début. Nous croyons tous savoir écrire, au même titre que nous pensons tous avoir bon goût ou le sens de l’humour. En effet, à part quelques ados adeptes du langage SMS, beaucoup de gens savent écrire. Mais il existe une énorme différence entre écrire sans faute de grammaire un statut FB de trois lignes et rédiger un chapitre de background de 40 000 signes pour un jeu de rôle.

Même si vous avez des idées exceptionnelles, le langage reste leur véhicule. Prenez soin du moteur.

 

Livres et logiciel cités dans ce billet :

savoirredigercombiantidotepieges

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