Sombre

Sombre est un jeu que Johan Scipion couve depuis des années. Sauf erreur de ma part, il le présentait déjà au Monde du jeu en 2003 et l’année suivante à la CJDRA. Inutile de dire que de l’eau a coulé sous les ponts et que le jeu a évolué depuis. Une version light est sortie en 2008, puis une version zéro / allégée  / spécialisée pour les sessions vraiment très courtes en 2012. Enfin, depuis 2011, le jeu sort sous la forme d’une revue qui a connu 5 numéros, plus ou moins au rythme d’un par an. J’imagine que vous êtes déjà au courant, mais il s’agit d’un jeu horreur notamment connu pour le zèle avec lequel Johan ne cesse de le faire jouer en convention depuis des années, massacrant allègrement des générations entières de personnages joueurs.

Johan vient partager avec nous son expérience sur Sombre. Sa démarche est inspirante, exigeante aussi, et a le mérite de montrer une voie possible pour du jeu indépendant en français dans laquelle je retrouve beaucoup de choses, y compris lorsqu’il critique le format de cette rubrique (je ferai peut être une réponse à ce sujet dans quelques jours, je ne sais pas encore). En tout cas, je suis bien content qu’il ait pu finalement arriver au bout !

Pour découvrir Sombre : http://www.terresetranges.net/
Pour vous procurer Sombre cliquez-ici
Pour découvrir la fiche Grog de la gamme : http://www.legrog.org/jeux/sombre

1. Le moi est-il si haïssable, demande l’ego-tripper ?

 

Lorsque tu m’as proposé d’écrire un 5 trucs, je dois t’avouer, Jérôme, que j’ai eu un moment d’hésitation. Oh, trois secondes à peine. La tentation était trop forte de me répandre sur ton blog. J’aime me vautrer dans tes draps de soie. Tout ce luxe jeuderologique flatte mon ego et remplit mon petit corps de volupté. N’empêche. Ce qui me met mal à l’aise dans cet exercice est qu’il invite à l’injonction. Or le « faites ceci, ne faites pas cela » n’est pas trop ma tasse de thé, raison pour laquelle j’ai résolu de dire « je » dans Sombre.

Je m’en tiens à mon vécu rôliste pour être bien certain de rester concret. Quand je pars dans la théorie, j’ai vite fait de raconter des bêtises grosses comme moi. Surtout, je ne veux pas préjuger des besoins des autres meneurs de Sombre. Je postule qu’ils sont expérimentés et cinéphiles, mais cela ne me renseigne pas réellement sur leurs goûts et leurs envies. C’est pour cela que, dans ma revue, j’ai laissé tomber les conseils purs et durs. Je me contente d’expliquer ce que je fais, comment je le fais, pourquoi je le fais.

 

2. La simplicité, c’est compliqué

 

Sombre light, mon kit de démo, est un .pdf qu’on peut librement télécharger sur la page officielle de Sombre. Depuis le départ, il présente l’intégralité des règles du jeu dans sa version Classic. Toutes considérations promotionnelles mises à part, c’est une position de principe : je souhaite que n’importe qui puisse jouer gratuitement et légalement à Sombre.

La première version publique de Sombre light, mise en ligne en septembre 2008, faisait 76 pages super denses. L’actuelle, uploadée en janvier 2015, n’en fait plus que 9 très aérées (7 si on retire les deux aides de jeu). La cure d’amaigrissement fut, comme tout régime un tant soit peu sérieux, longue et laborieuse. Elle nous a demandé, à moi et aux meneurs qui m’ont fait l’amitié de me soutenir dans ma démarche, plusieurs années de playtest intensif.

La conclusion que j’en ai tirée est que la simplicité ne me vient que par simplifications successives. L’épure technique qui constitue l’une des particularités de Sombre est le produit d’un énorme effort de game design. J’ai tendance à développer complexe sans m’en rendre compte. En 2008, en bouclant la première version de Sombre light, j’avais la ferme conviction d’avoir produit un système simple vraiment simple. Tout me paraissait facile, fluide, limpide. Je me mettais le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

Mon aveuglement tenait bien sûr au biais classique de l’auteur. J’avais tellement le nez dans le guidon que je ne me rendais pas compte que mon pédalier à trente plateaux et quarante-douze vitesses n’était pas si simple que je le pensais. C’est en menant pour tout un tas de gens différents, dont certains ne connaissaient rien ou pas grand-chose au jeu de rôle, que j’ai réalisé que la simplicité rôliste n’est pas celle du commun des mortels. Certaines de mes règles étaient trop compliquées, d’autres péchaient par effet d’accumulation. J’ai compris que la complexité naissait aussi de l’empilement d’éléments simples. Ouais, j’enfonçais les portes ouvertes du game design rôliste, mais cela me faisait du bien : j’en prenais de la graine.

 

3. Les conventions, ces boosters rôlistes

 

Sombre a été façonné par les conventions car c’est là que je l’ai le plus mené. En 2004, lorsque j’ai participé à ma première CJDRA, j’ai eu une épiphanie de force 7 sur l’échelle de Tynes. Ça a fait chboum! là-dedans. Moi qui jusque-là avais surtout joué et mené en cercle privé, j’ai eu un choc dont je ressens encore aujourd’hui l’impact. Mon Dieu mais c’était géniâââl !

Tous ces auteurs qui venaient proposer des démonstrations biclasées playtests de leurs créations persos. L’effet d’émulation était incroyable. Lorsque j’ai repris le RER après ma nuit de jeu, j’étais remonté à bloc et plus que jamais décidé à aboutir Sombre. La partie avait été une demi catastrophe. Une table très cool, mais un système à la ramasse et un meneur aux fraises. Bon sang, rien de ce que je faisais d’habitude n’avait fonctionné ! Je m’étais pris le mur de la réalité rôliste dans les gencives. Ouch.

Au petit matin, tout déchiqueté après ma nuit blanche, j’ai passé une heure, assis à mon bureau, à noircir une feuille A4. J’ai noté dessus tout ce que je voulais changer dans les règles de Sombre. Puis j’ai été me coucher. Au réveil, je me suis relu pour voir si je n’avais pas écrit trop de conneries. Il s’est avéré que non car ce document m’a servi de conducteur durant les cinq années suivantes. Je n’avais vraiment pas perdu mon temps cette nuit-là à la CJDRA.

 

4. Le jeu moche qui s’assume

 

Au début, je n’avais rien : ma bite, mon couteau, un système bidouillé avec mes petits doigts boudinés. Pour un .pdf gratuit, ça le fait bien. Quand il a été question de le publier sous forme de revue, j’ai commencé à réfléchir à l’emballage. Est-ce que je voulais un produit dont la présentation puisse rivaliser avec celle des jeux du commerce ? Une jolie maquette, des illus qui déchirent, un layout que quand tu le mates, direct tu sors tes dollars ?

Il m’a semblé plus raisonnable de commencer modeste. Une seule illu, pour la couverture, mais qui pète. Merci monsieur Greg. Pour la maquette, j’ai décidé de m’en tenir à mon traitement de texte. Moche mais fonctionnel. Très vite, j’y ai vu un avantage que je n’avais pas envisagé au départ : je pouvais modifier ma production jusqu’à la dernière minute. J’ai raboté l’équivalent de quatre pages à Sombre 1 juste avant de le publier. Si j’avais bossé avec un maquettiste, il m’en aurait fait une crise cardiaque.

Petit à petit, je me suis mis à apprécier ma maquette moche. J’aime ce feeling doucement DIY, genre le truc bricolé avec les moyens du bord dans un garage. C’est un plaisir de vieux con, mais cela m’évoque cette époque où les produits du commerce étaient des jeux avant d’être de beaux livres. Pas que j’aie quoi que ce soit contre les beaux livres, ils font battre mon petit cœur de bibliophile, mais je ne les trouve pas très pratiques. On a trop peur de les abîmer quand on joue avec.

La laideur est un non-sens commercial. Je sais pertinemment qu’il faudra un jour prochain que je m’intéresse sérieusement à la forme de Sombre. Mais d’ici là, je dois dire que cela me plaît assez d’avancer à rebours de l’air du temps. Mon petit côté keupon sans doute.

 

5. Des gabarits oui, mais les miens

 

Te souviens-tu, Jérôme, que l’année dernière, lorsque je t’ai soumis la première version de mon 5 trucs, il n’en faisait en réalité que quatre ? Tu m’as répondu que ce n’était pas possible, qu’il fallait absolument que j’en ajoute un cinquième. Cela m’a contrarié, je te l’avoue. Pas que ta demande m’ait semblé injustifiée (clairement, je n’avais pas joué le jeu jusqu’au bout), mais elle m’a renvoyé assez violemment à certaines de mes précédentes expériences professionnelles.

Au final, j’ai accepté d’ajouter un dernier truc en te prévenant qu’il fallait que tu fasses attention à ce que tu souhaites parce que tu pourrais bien l’obtenir. C’est que, vois-tu, j’avais dans l’idée d’aborder un sujet un poil plus polémique que ceux de mes quatre précédents trucs. Tu as ouvert la boîte de Pandore, kopaing. Accroche-toi, on est partis pour une sacrée tartine, que je dois d’ailleurs à mes mécènes sur Tipeee. C’est grâce à leur soutien que j’ai pu trouver le temps de rédiger ce qui suit. Merci à eux.

Or donc, ton refus m’a contrarié. Pas le gros caca nerveux, je te rassure. Plutôt le petit agacement. Tu sais, le genre qui te fait grommeler trois minutes comme un con devant ton écran. Je vais bien sûr t’expliquer le pourquoi du comment de l’affaire. Tout remonte à la presse. Tu ignores sans doute de le savoir car je n’ai rien écrit à l’époque qui m’ait particulièrement fait remarquer du milieu rôliste, mais je fus looongtemps pigiste en presse spécialisée cultures de l’imaginaire.

J’ai travaillé pour pas mal de supports papier, y compris en presse ludique. Des magazines, des prozines, n’importe quoi qui fasse bouillir la marmite. Les conditions étaient hyper rudes. C’était super mal payé, souvent en retard et fallait pisser du signe comme un taré. Les deadlines étaient hallucinantes et s’enchaînaient sans interruption car il fallait que je bosse pour pas mal de supports à la fois pour parvenir à en dégager un (maigre) revenu. Truc. De. Taré. La petite presse, quoi.

Par-dessus tout ça, le taf était super cadré. Les contraintes étaient légion et si je m’appesantissais sur toutes, j’en torcherais un roman. Mais je vais rester concentré sur mon cinquième truc et te causer du format. Mes gabarits étaient super précis, genre : 4 000 signes par page (un signe, je le précise pour nos lecteurs qui ne seraient pas aware du jargon de l’édition, est un caractère typographique, lettre, espace ou ponctuation), un intertitre tous les 1 500 à 2 000 signes, un encadré de 1 500 signes toutes les deux pages, le tout avec une tolérance de plus ou moins 5 %.

Au début, ça a été super formateur. Sur le tas, la formation. Je n’ai pas fait d’école de journalisme. Tout ce que je connaissais de l’écriture, c’étaient les dissertations de la fac et les quelques nouvelles que j’avais réussi à achever (on pouvait les compter sur les doigts d’une demi-main à l’époque). C’est dans les magazines que j’ai appris mon boulot. Sans cette expérience, je ne serai pas en train de faire ce que je fais aujourd’hui, c’est-à-dire publier tout seul une revue annuelle dédiée à Sombre.

Arrivé à un moment, tout ce formatage a commencé à me lasser. Parce que jusqu’à un certain point, la forme (la structure du texte) conditionne le fond. La manière dont on présente le, ahem, propos (putain, à chaque fois que j’emploie ce mot, je ne peux pas m’empêcher de sourire) a une incidence sur le propos lui-même. Les idées existent peut-être dans la noosphère, mais dès qu’il s’agit de les transmettre, notamment par écrit, on retombe quand même pas mal sur le plancher des vaches. Et là du coup, la forme se met à compter.

Or, mes gabarits presse étaient du pur saucissonnage : fallait tout bien découper pour prémâcher la lecture. Pour ratisser le plus large possible, on en venait à prendre les lecteurs pour des cons. Or moi, je n’aime pas trop ça. Toute cette condescendance qui consiste à écrire pour des neuneus parce qu’on part du principe que les neuneus sont légion, c’est du mépris et ça me crispe. Et puis, y’a l’idée que même si le lecteur n’est pas un con (« ce qui m’étonnerait quand même beaucoup » aurait dit Desproges), on lui vend de toute façon du papier pour occuper ses trajets en métro. Donc on surdécoupe pour qu’il lise fastoche entre les stations. Clairement, ça nivelle par le bas. Et ça non plus, je n’aime pas.

En particulier, je haïssais les encadrés. Le Mal à l’état pur, y’a pas d’autre mot. Lorsque tu t’en émeus, le rédac-chef, en pleine connivence avec l’éditeur, t’explique qu’ils dynamisent la maquette façon fun et jeune, ce qui est essentiel pour vendre le canard. Moi, ce que je voyais surtout, c’est que ça fractionnait encore plus la lecture. L’encadré est une engeance qui te casse la linéarité du texte que tu es en train de lire pour y intercaler un truc que dans 99,9 % des cas, l’auteur aurait fastoche pu caser dedans. Une fioriture, quoi. Or moi, les fioritures, c’est carrément pas mon truc.

Exactement comme les notes de bas de page. Ou pire, de fin de chapitre. Ou pire du pire, de fin de volume. Putain, est-ce que ce n’est pas un tic carrément insupportable de l’écriture universitaire, ça ? Oui parce que des bouquins universitaires, il m’arrive d’en lire. Comme disait Archangel à Springfellow, qui lui récitait de la poésie : « Vous n’êtes pas qu’un manuel ». Le mec (ou la meuf) qui t’oblige à feuilleter son bouquin parfois jusqu’à trois ou quatre fois par page pour te filer des infos qu’il aurait très bien pu intégrer directement à ladite page, mérite des baffes.

De mon point de vue, la seule note qui se justifie, c’est la référence bibliographique. Ce type d’info alourdit objectivement le texte et mérite d’en être excisé. Mais le reste ? Les réfutations des arguments des collègues par exemple. Hé mais gars, si tu veux tailler des croupières à Machin, qui selon toi raconte de la merde sur tel sujet, assume. Fais-le dans le corps de ton texte au lieu ne nous infliger note sur note, que des fois y’a plus de trucs écrits tout petit dans ton bouquin qu’en corps standard.

Et si tu as une anecdote à raconter, pareil. Soit elle vaut le coup et tu la mets dans ton texte, soit elle n’est pas si intéressante que ça et tu t’en dispenses. Dans tous les cas, tu ne nous la colles pas deux cents pages plus loin. Être auteur, je te le rappelle, suppose de faire des choix et de les assumer jusqu’au bout en organisant pile-poil bien les informations sélectionnées. Or tes notes, elles ont surtout tendance à foutre un gentil boxon dans ton bouquin.

L’encadré, c’est quasi la même chose, juste moins chiant parce qu’écrit moins petit. Tu es en train de lire ton article peinard et bam !, l’auteur (contraint par son gabarit) t’oblige à t’interrompre pour lire un article secondaire, de la taille d’un paragraphe, avant de revenir à son texte principal. Ou alors tu sautes l’encadré et le lis après, une fois que tu as tout terminé, mais c’est pénible parce que tu dois feuilleter ton magazine à rebours. De l’hypertexte tout foireux, sans autre utilité que de « dynamiser la maquette ». Pur relou, à mon avis à moi que j’ai.

Ce n’était qu’un aspect du problème. Je bloque dessus parce qu’il me pesait particulièrement, mais passé mes premiers mois d’autoformation, le principe plus général du gabarit a commencé à me gêner vraiment. Tout ce découpage hyper précis me frustrait beaucoup. Vu le volume de texte que je devais produire mensuellement pour (sur)vivre, je ne pouvais guère me permettre de perdre du temps à écrire long puis à couper, donc j’avais en permanence l’œil sur la fonction Statistiques de mon traitement de texte. C’était une manière d’écrire assez désagréable, alors qu’à la base, j’aime ça. Écrire, je veux dire. C’pas dur, c’est un des trucs que je préfère dans la vie. Comme je suis rôliste dans l’âme, j’ai fini par tourner la contrainte pour en faire un petit jeu, genre challenge intellectuel du pauvre. Pour tromper l’ennui, gérer ma frustration et éviter de péter un boulon, je m’astreignais à tenir mes gabarits non pas à 5 % près, mais à 10 signes près. Clairement, il était temps que j’arrête, ce que je n’ai d’ailleurs pas tardé à faire.

Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a une logique dans mes quatre premiers trucs. À la base, je ne suis pas très à l’aise avec ta structure. Et je ne crois pas être le seul car il m’a semblé que certains de mes prédécesseurs ont déployé eux aussi des stratégies de contournement. Je comprends ta volonté de proposer du pratico-pratique, et ce n’est pas moi, empiriste que je suis, qui te jetterai la pierre, mais un texte façon liste de courses n’est pas, à mon humble avis, le meilleur moyen de développer un propos (huhuhu) un tant soit peu construit. Pour une raison simple : c’est hyper dur d’articuler l’ensemble.

Du coup, j’ai essayé de tourner le bidule comme un article, en commençant par une intro (truc 1, pourquoi je dis « je » dans mon jeu et dans le présent article), que tu as d’ailleurs bien identifiée pour ce qu’elle est puisque dans ton mail de refus, tu as tiqué dessus, me signalant que tu doutais que le lecteur puisse en tirer directement quelque chose. Bien entendu, j’ai refusé toute modif, arguant que y’a bien un pur vrai conseil dedans, que sur un mode classique (injonctif donc), je formulerais comme suit : « N’hésitez pas à écrire vos jeux à la première personne du singulier car vous en êtes l’auteur ».

Passé le truc 1, j’ai développé en trois parties, enchaînées selon un plan chronologique pour coller à la chaîne de production rôliste, de l’idée au produit fini en passant par le playtest. Ça se voit que j’ai été formé par le système scolaire français, hein ? Parce que oui, ça pue la dissertation. Donc truc 2 game design (la simplicité par simplification), truc 3 conventions (note la manière dont j’articule ce point avec le précédent en mettant le focus sur une anecdote de game design) et truc 4 la revue, qui aboutit la démarche créative exposée dans les trois points précédents.

Cet article, j’y ai cogité. Et pas qu’un peu. Comme à tout ce que j’écris en fait, surtout en jeu de rôle. En littérature, je travaille le lâcher-prise, mais en JdR, je prémédite pas mal. En l’occurrence, plus que pas mal. Primo, je voulais faire bonne impression sur ton blog. Je respecte ton boulot, ce qui me pousse à donner le meilleur de moi-même quand je bosse pour toi. Ce d’autant que je ne suis pas le seul à apprécier ton taf. Du coup, me viander sur ce site n’est pas forcément une bonne idée si je veux donner une image positive de mon jeu. Secundo, entre le moment où tu m’as proposé de rédiger mon 5 trucs et celui où je m’y suis effectivement mis, il s’est passé plusieurs longs mois durant lesquels j’ai été si occupé que je n’ai pas eu le temps de m’y coller. Mais ça ne m’a pas empêché d’y réfléchir. Il n’y a pas, malédiction classique des auteurs, de bouton off sur mon gros cerveau.

J’ai mis du neurone sur cet article, y compris sur un éventuel cinquième truc, mais n’ai rien trouvé de satisfaisant car tout ce que j’aurais pu y ajouter aurait alourdi et brouillé ma structure en intro + développement trois parties (la présente bafouille le démontre bien, je pense). En bonne logique, le cinquième truc aurait dû être une conclusion, mais ta structure en liste de courses m’interdisait de fermer puis d’ouvrir (méthode universitaire standard) parce que cela aurait fait redondance. La fermeture au moins.

Donc bon, j’ai livré tel quel. J’avais pondu un truc qui me semblait raisonnablement pertinent et élégant et toi, tu me réponds « Ouais mais non, mon pote, le gabarit c’est le gabarit ». Rhâââ bon sang, toute mon histoire de pigiste qui me remonte à la gueule ! Ton refus m’a renvoyé direct à cette période pas super rose de ma vie professionnelle. Pas content, Johan. Mais comme j’ai un peu mûri depuis la presse et que je tenais mordicus à être publié sur ton blog, j’ai décidé que je tournerais ton refus en opportunité. Je profiterais de la rustine que tu me demandais pour m’offrir une tarte aux fraises cathartique, pile-poil ce que je viens de faire. Burp, c’était bien bon. Et comme je veux décidément faire les choses bien, je n’oublierai pas, pour tenir ta commande et remercier les trois péquins qui auront eu le courage de me lire jusqu’ici, de caser un cinquième vrai truc à la fin de mon texte. Le voici.

Au sortir de la presse, j’étais tellement frustré par cette histoire de gabarits que j’ai décidé d’écrire Sombre selon mes propres termes. Je m’étais servi des magazines comme d’un tremplin pour mettre un orteil dans le jeu de rôle pro. J’y étais resté juste assez longtemps pour constater que les conditions de travail n’y étaient pas meilleures. En fait, elles étaient bien pires : des gabarits à peine plus souples pour une paye encore plus misérable. Truc de taré. Au point où j’en étais, je me suis dit que quitte à être payé des nèfles, je préférais ne pas être rémunéré du tout et pouvoir contrôler mon travail : des gabarits, oui car il en faut, mais les miens. Rien que les miens.

Je voulais la liberté de me fixer mes propres contraintes, ce qui impliquait de disposer de plus de pouvoir que je n’en avais lorsque j’étais pigiste. Parce qu’en tant que pigiste, du pouvoir t’en as juste pas. Je cherchais mon araignée radioactive. Sauf que dans la vraie vie, elle s’achète en monnaie Fame : la sueur. L’empowerment, ici bas, faut le mériter. Y’a personne qui va te donner quoi que ce soit, tu dois te bouger le cul. Et grave. Mais je ne t’apprends rien, je crois. Donc je me suis mis à travailler comme un ouf malade pour devenir mon propre boss. Mon propre rédac-chef d’abord, et puis tant qu’à faire, mon propre éditeur.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est vraiment cette question, qu’on pourrait croire très secondaire, des gabarits qui, plus que tout autre enjeu créatif, m’a mis sur la voie de l’indépendance. Putain de chierie de bordel de merde de ta mère en slip, je voulais écrire mon jeu sans encadrés ! Je le voulais *vraiment*. Quinze ans plus tard, cela m’a conduit à monter ma propre boîte. Sacré effet papillon, hein ?

1 Commentaire
  • Alex

    25/10/2018 at 22 h 42 min Répondre

    Vous êtes définitivement une personne impressionnante, M. Scipion. L’article vaut son pesant de cacahuètes rien que pour la fin, qui respire la passion ! Chouette à lire 🙂

Laissez un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.