Rendre les personnages attachants (2/2)

Ce billet est la suite de celui paru il y a un mois. Dans le but de montrer quelques astuces pour rendre les personnages attachants, PJ comme PNJ, ce dernier abordait surtout deux étapes préliminaires, à savoir la façon de les définir et de dévoiler les informations les concernant en partie. Ce billet-ci se concentrera plus sur le cœur du sujet, et donc sur comment créer cette empathie ou cet intérêt de façon concrète. Il va être divisé en deux : le travail de fond, qui nécessite plus d’investissement sur les personnages et leur évolution, et les techniques, qui peuvent être relativement improvisées et permettent de s’adapter au plus juste en cours de partie.

 

Le travail de fond.

 

Selon Karl Iglesias, donc, pour rendre un personnage attachant, il faut réussir à provoquer un ou plusieurs des trois éléments suivants :
– qu’on le comprenne et qu’on éprouve une certaine empathie (identification) ;
– qu’il nous intéresse (fascination) ;
– 
qu’il titille notre curiosité ou qu’il crée de l’anticipation ou de la tension (mystère).

La façon la plus immédiate de susciter l’identification est d’avoir un personnage qui nous ressemble. Et il y a bien des façons de le faire. Par exemple, au-delà de la simple apparence physique ou du sentiment d’appartenance à une même communauté, cela marche très bien si on met en avant un personnage qui possède nos valeurs ou qui agit selon ce qui nous semble normal de faire. Et cela marche encore mieux si on le confronte à un environnement demande l’inverse de lui, peu importe que cela soit parce que la situation est exceptionnelle ou parce que quelqu’un l’empêche de faire ce qu’il ferait sinon. On a tous en tête des exemples de campagnes avec un antagoniste principal qui brûle de l’intérieur de ne pas pouvoir faire des choses qui lui semblent justes – voire qui le sont selon nos standards, mais pour lesquelles soit l’univers du jeu n’est pas prêt, soit il exige trop de compromis. Ce genre de « grand méchant » est généralement presque toujours attachant.

Mais il n’y a pas besoin d’aller jusque là. Il suffit de rendre les motivations du personnages claires et qu’on les comprenne. Sans forcément les partager, on se mettra beaucoup plus facilement à sa place. Un exemple ? Dans Les Rois du désert, il y a une scène mémorable où Saïd Taghmaoui interroge un prisonnier américain dans un bunker. Ce dernier le supplie d’arrêter et de le laisser repartir parce qu’il a une fille. À ce moment là, le personnage de S. Taghmaoui explique que sa propre fille est morte sous les bombes américaines. Dans cette scène, il est probable que peu d’entre nous se disent avoir beaucoup de choses en commun avec ce membre de la garde prétorienne de Saddam Hussein qui s’apprête à torturer un prisonnier. Pourtant, on comprend instantanément ce qui le motive et, malgré les horreurs qu’il fait et qu’il s’apprête à refaire, cela nous le rend attachant. Même si on ne l’a jamais aperçue, on comprend la douleur d’un père qui perd sa fille sans pouvoir rien y faire, et on comprend que dans ces yeux les « gentils » ne le sont pas autant que dans les nôtres. On a d’ailleurs immédiatement le sentiment que ce n’est pas « juste » un méchant, voire que ce n’est pas lui le méchant. 

Il existe également pas mal de moyens de susciter de l’intérêt :
– le personnage est unique, on le distingue facilement des autres. Que ce soit pour raisons physiques, comme Elephant Man, ou morales, comme William Wallace, ces individus sont exceptionnels et on le voit immédiatement ;
– il est plein de paradoxes et d’oppositions. Il peut s’agir d’oppositions entre ce que le personnage veut et ce dont il a réellement besoin, ou de problèmes liés à ses valeurs qui s’opposent. Le tout est de faire en sorte que ces oppositions semblent suffisamment fondées pour qu’il ne passe pas pour un pleurnicheur ou quelqu’un manquant juste de volonté. Cela le ramènerait un peu trop vite dans la médiocrité et le désintérêt. Sauf si c’est un excellent pleurnicheur, bien sûr… ;
– 
lui créer des limitations, des défauts ou des problèmes : le personnage a un soucis et est confronté avec. Généralement, quelque chose qui lui fait peur. Sa réaction face à ses propres limites suscite de l’intérêt : quand le personnage est détestable (ce qui peut être une source d’intérêt en soit), il faut compenser ses aspects négatifs par des éléments positifs qui permettent de ne pas le rejeter et de s’autoriser à être piqués au vif par ses mauvais côtés : Hannibal Lecter est le pire criminel qui soit, mais il est maltraité par son psy et est extrêmement intelligent, bien éduqué, charmeur et a de l’esprit. Dr House est un asocial et une tête à claque, mais c’est aussi une victime, un excellent diagnostiqueur et quelqu’un qui n’abandonne jamais ses patients. Même le personnage d’Hitler dans La Chute (qui pourtant se pose là en personnage détestable) est rendu attachant par le fait que ce soit finalement un perdant, victime des mensonges et du manque de courage de ses généraux, et qui se montre particulièrement doux et attentionné envers ses secrétaires et son chien. Et c’est bien parce qu’il réussit ce tour de force que le film est intéressant d’une part, et qu’il a créé une telle polémique de l’autre ;
– lui créer une vie hors du scénario qui suscite l’imagination. Concrètement, il s’agit de faire en sorte qu’on découvre des éléments du passé du personnage qui font que l’on souhaite en savoir toujours plus. L’équipage du Serenity est à la base un regroupement de vétérans qui ont perdu une guerre et ne l’ont jamais digéré, avaient des relations qui ne sont plus les mêmes aujourd’hui et ils y font fréquemment référence. Dans Avatar, le personnage de Sigourney Weaver est une pointure et elle a déjà un passif avec la plupart des antagonistes humains et navi du film…

Enfin le troisième élément à susciter est le mystère. Non pas dans le sens d’une ambiance de type enquête, mais on doit se demander des choses vis à vis de ce personnage, quelle va être sa prochaine action, pourquoi il fait ci ou ça… Ainsi dans Bourne Identity, on doit découvrir le secret du protagoniste, dans Chinatown, on se demande quelle est la blessure dont souffre Evelyn, dans Lost, on n’en fini plus de se poser des questions sur Locke ou Ben, etc.

 

Techniques

 

Donc après avoir vu comment préparer les personnages pour qu’on s’y attache, voici quelques techniques pour le faire rapidement en cours de partie. C’est parfois un peu brutal et superficiel, mais cela peut vous sauver la mise sur une campagne ou un scénario qui existe déjà, par exemple parce que vous souhaitez compenser un mauvais départ entre les PJ et un PNJ. Comme précisé plus haut, elles viennent tout droit du livre de Karl Iglesias dont la lecture à suscité ces deux billets.

Le principe de base, c’est qu’on s’attache :
– aux victimes et aux personnages pour lesquels on a de la peine ;
– aux personnages humains ;
– à ceux qui ont des qualités que l’on désire.

Pour faire en sorte que le personnage passe pour une victime, établissez un ou plusieurs faits suivants :
– il a subit des mauvais traitements, injustices et/ou mépris non mérités. Typiquement, le tueur en série qui a eu une enfance difficile… ;
– il subit un coup du sort tellement aléatoire, intense ou immérité qu’on ne peut que compatir ;
– 
il souffre d’un handicap physique (Elephant man), mental (Rain man), social ou financier, géographique, etc. ;
– 
il est hanté par son passé et tente de surmonter sa douleur ;
– 
il est vulnérable et a des moments de faiblesse ;
– 
on le mène en bateau ou le trahit ;
– 
personne ne le croit alors qu’il dit la vérité ;
– 
il est abandonné, exclu ou rejetté ;
– 
il se sent seul ;
– 
il fait des erreurs mais veut les surmonter ;
– 
il est blessé ou en danger ;
– etc.

Pour faire en sorte que le personnage passe pour profondément humain, établissez un ou plusieurs faits suivants :
– il aide les autres, surtout ceux qui ont moins de chance ;
– 
il aime les enfants et ils le lui rendent (et eux, ils sentent ces choses là) ;
– 
il aime les animaux et ils le lui rendent (et eux, ils sentent ces choses là) ;
– 
il pardonne ou accepte de revenir en arrière sur quelque chose où il avait tort ;
– 
il risque sa vie ou la perd pour autrui ;
– 
il combat et est prêt à mourir pour une cause juste ;
– 
il se comporte de façon intègre, loyale et morale. Voire avec un peu de panache,
– 
il aime les autres (en général sa famille, ses voisins ou ses amis) et ils le lui rendent ;
– 
en privé, il peut aller se laisser aller à montrer sa vraie nature, qui est beaucoup plus douce ;
– 
il agit avec générosité ;
– etc.

Donnez des qualités que l’on souhaite avoir au personnage, donnez-lui  :
– du pouvoir, du charisme ou du leadership ;
– 
une profession « glamour » ;
– 
du courage et de la détermination ;
– une passion 
brûlante et sans compromis ;
– une expertise particulière ;
– 
une putain de belle gueule ;
– 
un putain de beau cul ;
– 
la forme physique ;
– 
de la sagesse, de l’astuce ou de l’intelligence ;
– 
de l’humour ;
– 
une certaine innocence ;
– etc.

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