Lettre d’intention de Tenga

Pour ceux qui seraient curieux et voudraient en apprendre plus sur Tenga (Qu’est-ce ? De quoi cela parle ?), voici la lettre d’intention que j’ai envoyée il y a quelques mois aux deux têtes de John Doe. J’espère que cela vous permettra de vous faire une meilleure idée du jeu. Plus de détails viendront sans doute en temps et en heure, mais j’espère que ces éléments suffiront en tout cas à répondre à pas mal des questions.

 

TENGA

 

C’est quoi ?

 

Contrairement aux apparences, Tenga n’est pas un jeu centré en priorité sur le Japon médiéval ou sur les samouraïs. Au contraire, son thème principal est la façon dont des héros a priori anonymes vont vivre et faire face au véritable tourbillon historique qui va secouer l’archipel à la fin du XVIe siècle. Car, qu’ils soient issus de la plus basse des castes ou de la désormais désuète noblesse impériale, les événements à venir auront forcément un impact sur eux. Et, s’ils savent se montrer à la hauteur, ils le leur rendront bien…

En effet, le pays est à un tournant de son histoire, et il se tient, là, offert, prêt à être saisi par celui qui saura s’imposer à lui. Après une période de guerre perpétuelle, quelques seigneurs ont commencé à se tailler un nom et le clan Oda a réussi à prendre un avantage déterminant sous la houlette du plus puissant et du plus sanguinaire d’entre eux. Mais alors que ce dernier est assassiné par son protégé, commence une véritable guerre de succession interne au clan en parallèle à celle menée pour assurer son expansion. Celle-ci va bouleverser l’archipel et ceux qui y vivent, car d’une fa

çon ou d’une autre, tous auront à choisir : celui de la tradition ou celui de la modernité.

Pas question ici de discourir pendant des heures sur un code d’honneur qui n’a pas encore été écrit en buvant cérémonieusement des tasses de thé que personne ne peut décemment s’offrir. Pas question non plus d’échanger des aphorismes incompréhensibles avec de vieux religieux illuminés ou de faire un duel toutes les cinq minutes pour laver un affront inexistant.

Si la politique se fait toujours dans les alcôves des puissants, les batailles et le destin du Japon se forge dans la boue. Là où les os craquent, les chairs perforées brûlent, les convictions vacillent et jeunes hommes meurent inutilement sur le champ de bataille, baignant dans leur sang et la futilité vaine de leurs idéaux.
Pas la peine pour autant d’aller chercher le réconfort dans un temple. Derrière le sourire débonnaire de leurs moines les plus convaincus, cela fait bien longtemps qu’ils se sont institués en véritables usuriers et n’hésitent plus à envoyer leurs armées marcher sur la capitale ou à soutenir les révoltes populaires qui servent le mieux leurs intérêts.
Quant à l’honneur, la vertu prétendue cardinale, elle est bien malmenée. Si tout le peuple semble attendre des samouraïs qu’ils en soient les parangons et montrent l’exemple, il faut reconnaître qu’il s’agit pour l’instant surtout d’un carcan qui piège ceux qui le respectent et les empêche de réaliser leurs ambitions. Même les duels qui peuplent les histoires qu’on raconte aux enfants sont le plus souvent déclarés par le vainqueur une fois que la carcasse chaude du vaincu gît à ses pieds.

Pourtant, certains y croient encore. Qu’ils soient en avance sur leur temps, qu’ils croient en des valeurs du passé ou les histoires de héros qu’ils écoutaient adolescents, ou tout simplement qu’ils pensent cyniquement pouvoir se sortir de toutes les situations, ils vont devoir confronter leurs croyances et la terrible époque dans laquelle ils vivent. Paysans, voleurs, samouraïs, artistes, moines, courtisans ou simples prostituées, ils pourront s’en sortir grandis ou usés, couverts de gloire ou anonymes dans une fosse commune, désabusés ou exaltés, mais s’ils veulent survivre, ils sont condamnés à évoluer avec le reste de l’archipel.

Ce sont des gens comme nous, simplement pris dans une tourmente qui les dépasse et qui font le choix de faire face à leur destin. Ce sont les héros de Tenga

 

Non, mais, concrètement ?

 

Tenga est le fruit de mon plaisir et de ma frustration accumulés à jouer à des jeux de rôles japonisants pendant de nombreuses années. Sans grande originalité, sa première version a été écrite en 2003 pour jouer entre amis faute de trouver chaussure à notre pied (certes fort délicat) dans le commerce. Depuis, j’ai eu la chance de participer à plusieurs autres projets de jdr et d’apprendre à éviter certains pièges. Tenga a donc évolué au fil des années en parallèle avec ma perception du jeu de rôle. Ainsi, d’un jeu encyclopédique sur l’ère médiévale, il s’est énormément recentré au fil des années pour traiter une époque bien particulière, l’ère de transition appelée Momoyama, et d’une thématique forte, l’opposition de ses propres valeurs et l’évolution des individus face à la tourmente.

Concrètement cela veut dire que Tenga est/sera un jeu de rôle historique en français avec une documentation particulièrement solide, mais suffisamment digérée pour qu’elle soit intégrée de façon naturelle au jeu. Cette notion centrale de changement d’époque nécessite bien sûr une description du monde et des us et coutumes d’alors, mais l’essentiel est de faire transparaître le dynamisme de la période choisie et de proposer de quoi jouer directement. Si on devait faire une analogie, on est donc plus proche des Jidai-geki (film d’époque en costume, comme L’Intendant Sansho, Kagemusha, Les 7 samouraïs et d’une certaine façon Shogun) que du chambara d’exploitation (Baby Cart, la plupart des Zatoïchi après le premier). Pour prendre un exemple plus occidental, et malgré les 250 ans de différence, on est assez proche du niveau de puissance et d’une partie des préoccupations des personnages principaux du Dernier Samouraï.

Crées à partir d’un nombre variable de « moments-clés» qui forgent leurs forces comme leurs faiblesses, les héros de Tenga ne sont donc pas des sabreurs d’exception rendus encore plus exceptionnels par une mutilation quelconque mais bien des individus, qui peuvent certes être de brillants épéistes, mais restent fragiles et susceptible de mourir à (presque) tous les instants. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront réellement faire preuve de courage ou d’héroïsme et que leurs choix les engageront vraiment.

Ils sont encouragés dans ce sens par un système qui se veut à la fois très intuitif et reposant sur deux notions principales : la compétence et l’effort.
La première est capitale dans un univers où on vénère l’excellence et permet de gérer la plupart des actions sans jeter de dé. Ainsi, sauf événement perturbateur, un individu compétent dans un domaine réussi avec de façon acceptable toutes les actions moyennes. Un expert, aurait réussi toutes les actions difficiles de façon acceptable ou toutes les moyennes avec brio sans avoir à puiser dans ses ressources. A noter que dans une telle situation, les capacités physique ou intellectuelles du personnage n’entrent pas en ligne de compte. Ainsi, un personnage myope habitué à monter la garde aura appris à surpasser son handicap et à compenser sa mauvaise vue.
Mais parfois, se reposer sur sa simple compétence n’est pas suffisant et un personnage souhaite puiser dans ses ressources pour se surpasser. Il fait alors un jet d’effort et sollicite ses caractéristiques physiques ou mentales. Dans une telle situation, outre la fatigue, il prend le risque de s’éloigner de son savoir-faire pour le meilleur…ou le pire.

Le combat se base exactement sur le même mécanisme. Il est conçu avec le double objectif de pouvoir être rapidement expédié entre deux non-combattants et de fournir énormément de subtilités tactiques pour deux joueurs qui choisiraient de s’y intéresser et de faire des personnages spécialisés. Un peu à l’image d’un jeu de cartes, le combat entre deux combattants non préparés revient à regarder qui a tiré la carte la plus élevée, là où le combat entre spécialistes correspond à un jeu de bluff et de combinaisons entre deux mains complètes, le personnage le plus aguerri ayant à la fois plus de cartes et de meilleures valeurs.
Pour autant, à moins d’un déséquilibre notoire entre les antagonistes, le jeu est prévu pour respecter une certaine philosophie du combat. Ainsi celui-ci est particulièrement violent (mortel donc) et le premier soucis des personnages est avant tout de se protéger. En effet, l’essentiel de l’affrontement se fait avant que les sabres ne soient tirés du fourreau et sortir le sien face à un inconnu revient à avoir une chance sur d’eux d’y passer.

 

Les valeurs

 

Un autre point important du système est la notion de valeur. Dans Tenga une valeur peut être tout à la fois quelque chose en quoi croit le personnage (l’honneur), un code de conduite (ce qui deviendra le bushido), une personne (son père ou sa bien-aimée), voire même son propre instinct de survie.

Le joueur choisit un certain nombre de valeurs à la création de personnage et les fait évoluer gratuitement en même temps qu’il reçoit de l’expérience dans le sens qu’il estime nécessaire. L’idée derrière cette notion est qu’une valeur est à la fois une force et une faiblesse pour le personnage dans cette époque où les anciens idéaux volent en miettes et où deux conceptions du monde s’affrontent. Elle l’aidera à se surpasser mais en fait une proie facile pour les intrigants ou qui cherche ses points faibles.

Par opposition à plusieurs autres jeux japonisants, on ne cherche pas du tout à mesurer où se trouve un personnage sur une voie spécifique ou à donner un statut social au personnage (ceci reste l’unique prérogative de celui qui l’interprète), mais à mesurer à quel point l’objet de sa valeur est quelque chose qui le transcende ou le paralyse. Ainsi, un joueur aura toujours le choix des actions de son personnage, mais celles-ci seront grandement facilitées ou handicapées par la psychologie de son alter ego. De plus, sur une action donnée, certaines de ses valeurs peuvent entrer en conflit, ce qui ne va pas sans perturber le personnage en question. C’est un thème central, sinon LE thème central de toute la dramaturgie japonaise.

Cet élément est fondamental dans Tenga est vient en réaction à ce défaut bien connu de certains jeux japonisants où l’on considère qu’il y a une bonne et une mauvaise façon de jouer, la première se résumant à incarner un personnage quasi-fasciste en prétextant des raisons pseudo culturelles ou le roleplay. Le plus souvent, cette vision est renforcée par une caractéristique mesurant l’« honneur » qui vient récompenser ce genre de pratiques. Ici, on considère que seul le joueur est à même de juger de la psychologie de son personnage et que le rôle du meneur n’est absolument pas de le juger mais de faire réagir les pnj en fonction de son comportement.

 

Le surnaturel

 

Le fantastique est sans doute l’élément qui déroute le plus dans Tenga. Bien qu’il n’y ait aucun sort et aucune créature surnaturelle concrète, le fantastique n’est pas absent des parties.

C’est juste aux joueurs de décider de ce qui est de la magie ou de ce qui s’explique.

Ainsi, les religieux ne sont pas des jeteurs de sorts a priori et s’ils bénéficient d’avantages, ceux-ci sont essentiellement sociaux. Pour autant, des rituels historiques sont disponibles dans le jeu, mais ceux-ci ne seront sans doute pas ceux qui intéresseront les joueurs au premier chef (purification, bénédiction des récoltes, etc…).

La seule règle d’or est que la magie est l’œuvre des kamis et que ceux-ci ne sont pas surnaturels mais au contraire font partie intégrante de la nature. En conséquence, tout ce qui pourrait être surnaturel doit absolument pouvoir s’expliquer autrement, de façon plus rationnelle. Par exemple, un voyageur en train de s’assoupir est réveillé in extremis après avoir aperçu une sorte de visage dans les flammes et donc peut se défendre contre l’attaque de deux brigands. A t’il rêvé ? N’est ce pas juste son sixième sens ? N’était ce que le vent dans le feu ?
L’analogie la plus immédiate que je vois pour expliquer la relation au surnaturel est la série Rome : on peut voir l’appel aux dieux qui y est fait comme une forme de magie (puisque tout sans exceptions de ce qui leur est demandé se réalise) ou comme des restes d’antiques superstitions.

Il existe quelques règles pour gérer le fantastique, mais celles-ci sont conçues pour que personne ne puisse à aucun moment « maîtriser » le surnaturel, tout au plus influer sur les événements et son destin. Comme expliqué ci-dessus, c’est aux joueurs qu’il appartiendra d’y voir un signe s’ils le souhaitent.

 

L’entretien

 

Enfin, une dernière règle qui pourrait tout à fait paraître anecdotique mais qui donne une réelle personnalité aux partie de Tenga est celle de l’entretien. Elle tient à un postulat très simple : si un personnage souhaite exceller dans une compétence et s’y spécialiser, cela exigera de lui des efforts quasi permanents pour se maintenir à haut niveau et généra toute autre évolution. Aussi toutes les compétences qu’il possède à un niveau expert ou maître vont gonfler une caractéristique appelée entretien. A chaque fois qu’il souhaite dépenser des points d’expérience, il doit payer en plus la valeur de cette caractéristique ou accepter que sa compétence diminue.
Ainsi, la quête de l’excellence n’est pas un vain mot et, contrairement à nombre d’autres jdr, on ne rencontre que très rarement des personnages qui soient des experts et/ou des maîtres de nombreux domaines.

Les illustrations sont de Matthieu Gasperin, pour une version antérieure du jeu (2004).

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