L’échec est toujours une option

En surfant sur le net, je suis tombé sur un article de Mike C. Holmes destiné aux meneurs d’Hero Quest appelé L’échec est toujours une option : la défaite du personnage est la victoire du joueur. Il m’a particulièrement intéressé parce que c’est justement quelque chose qui me semble fondamental et que j’avais tenté d’expliquer dans les conseils aux meneurs pour la campagne de Tiàn Xia, à savoir que contrairement à l’idée reçue, ce sont les échecs plus que les victoires qui font les héros, surtout dans un jeu épique (ce qui n’est en aucun cas un blanc seing pour s’essuyer les semelles sur les joueurs ou leurs personnages). Je dois bien avouer que ce texte explique bien mieux tout ça que je ne l’ai fait alors. La seule réserve réelle que j’ai à son endroit est qu’il le fait à une échelle que je trouve très réduite (l’échec au niveau d’un conflit donné et non d’un scénario).

Donc si vous voulez lire cet article, c’est par ici : http://issaries.com/support/na_defeat.html

Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais, voici un résumé libre de l’article en question et quelques exemples ou remarques de ma part. Il y a beaucoup plus de choses dans le texte original, bien entendu.



Introduction

Cela fait longtemps que les rôlistes se sont aperçus que bien que leurs jeux favoris ne soient ni des livres ni des films – et ne doivent pas être considérés comme tels -, bien souvent les mêmes règles dramatiques y sont tout aussi efficaces. Parmi celles utilisées constamment par les scénaristes, l’échec d’un personnage principal n’y est (presque) jamais utilisé pour arrêter l’intrigue mais au contraire pour permettre à celle-ci de rebondir et de progresser. Il faut bien avouer qu’Indiana Jones aurait été un tout autre film si le célèbre explorateur s’était sorti de la fosse aux serpents en perdant la trace de l’arche pour toujours au lieu de chevaucher à bride abattue pour prendre d’assaut un convoi nazi. Voire s’il n’en était jamais sorti.

Cet article a pour objectif de monter comment les échecs des personnages peuvent être amusants pour les joueurs et de montrer quelques règles pour y arriver. Car les personnages vont échouer à Hero Quest – peut être même plus souvent qu’ils ne le font dans d’autres jdr. Pour rendre le jeu vraiment plaisant, les joueurs doivent apprécier les défaites au moins autant – sinon plus – que les victoires. Et ce n’est pas aussi difficile qu’on peut le penser.

 

Règle #1 : Échouer ne veut pas dire être ridicule

Les déclarations d’intention ne reflètent jamais à 100% ce à quoi un joueur peut s’attendre à l’issu d’un test ou d’une confrontation. Le meneur a toute latitude pour interpréter les résultats et la façon dont ils prennent corps dans la partie. Par exemple, il peut sans aucun doute rajouter les éléments descriptifs de son choix pour rendre la scène plus vivante. Ainsi, lors d’une confrontation entre deux personnages pour savoir lequel des deux escaladera un mur le plus rapidement, il est tout à fait libre de décrire l’échec de n’importe laquelle des deux façons suivantes : «  Ton personnage ne cesse de glisser, semble avoir quatre pieds gauches et enchaîne les erreurs stupides, allant presque jusqu’à offrir la victoire sur un plateau à son adversaire » ou « Ton personnage escalade la paroi avec une vigueur et un talent certains. La victoire lui semble acquise, quand, soudain, le vent se lève. Il reçoit de la poussière dans l’œil et doit s’arrêter quelques instants avant de reprendre son ascension. Malheureusement, cela suffit à ton adversaire pour arriver à ton niveau et emporter la victoire d’une courte tête. ».

Cet exemple montre comment, en contrôlant les enjeux d’une confrontation, le meneur peut permettre à un personnage de faire bonne ou mauvaise figure. Ceci nous amène à la première règle pour rendre les échecs intéressants : partir du principe que l’échec peut mettre en valeur le personnage plutôt que le dénigrer, notamment en expliquant l’échec par des éléments extérieurs et indépendants et non par les capacités du personnage ou les choix du joueur.

 


Règle #2 : Échec signifie Conflit

L’échec d’un personnage dans une partie peut généralement amener à deux options, une qui signifie la fin de la partie (ou une séance de voltige de la part du meneur) ou celui qui sert à amener de nouvelles options.

Le premier est généralement soit une erreur dans la conception du scénario, soit du meneur qui s’est laissé dépasser sans anticiper où les choses allaient le conduire. Cela dit, cela peut aussi être positif dans le cas particulier d’une scène paroxysmique destinée à finir le scénario quoi qu’il en soit. Bien souvent, les meneurs s’en sauvent en minimisant l’impact d’un échec mais cela reste une solution médiocre. Pour que la victoire ait un sens, il faut que les défaites aussi, toutes et à chaque fois. La seule bonne solution est de trouver un moyen de rebondir suite à cette déconvenue et de relancer l’action, et non de faire comme si elle n’avait pas existé.

Quand il permet d’amener de nouvelles options, l’échec est au contraire un ressort scénaristique inépuisable. Si une confrontation doit se finir par une défaite, autant la faire déboucher sur une complication, une autre confrontation qui vient se rajouter à la première et permet à la fois de relancer la tension et de ne pas se mettre dans un cul de sac. Il y a de nombreuses façons de gérer cela comme introduire un conflit qui n’a rien à voir, augmenter les enjeux, réduire la qualité des options disponibles, etc.

Un exemple (avec pas forcément un enjeu délirant, mais il reste illustratif) : Une nuit, un personnage essaye de crocheter la porte d’une maison dans laquelle il souhaite s’introduire. Malheureusement pour lui, il échoue. Parmi les rebondissements possibles :
–    des hommes pénètrent dans la ruelle après avoir entendu un bruit. Ce sont un garde et un marchand qui s’arrangent sur une sombre affaire, dévoilant se qui se cache derrière la porte, et sont persuadés que le rival du marchand ou un homme du bourgmestre les espionne. Le personnage va devoir se cacher ou se débarrasser rapidement des deux hommes s’il ne veut pas d’ennuis (une confrontation se substitue à une autre);
–    les outils dont il se sert se coincent dans le mécanisme au moment même où celui-ci allait céder. L’objet peut être récupéré, ce qui libérera le verrou, mais non sans bruit. Il peut donc toujours ouvrir la porte ou la laisser fermer, mais elle ne s’ouvrira pas sans alerter du monde et il ne pourra pas partir sans y perdre son attirail (les issues de la confrontation empirent);
–    des hommes passent dans la rue, il faut donc crocheter la porte encore plus vite faute de quoi non seulement il ne pourra pas rentrer, mais il sera en plus automatiquement repéré (augmentation des enjeux).

Un autre exemple avec un enjeu plus élevé sur un scène où un échec devrait normalement signifier la fin de la partie : Les personnages sont en train d’essayer de désamorcer une bombe qui les tuera tous (et le bâtiment dans lequel ils se trouvent) si jamais ils se loupent :
–    alors que le héros coupe le fil sensé être de la bonne couleur, la minuterie semble s’arrêter une demi seconde avant de reprendre plus rapidement et que le temps restant fonde comme neige au soleil ;
–    la bombe dégage en fait un gaz soporifique et les personnages se réveillent dans un lieu inconnu, voire en prison, et on leur apprend que la fameuse « bombe » n’était qu’une diversion pour quelque chose de bien pire. Ils sont soit détenus par le grand méchant, soit les boucs émissaires qui vont porter le chapeau ;
–    le téléphone des personnages sonne au moment où le compte à rebours arrive à son terme : le méchant est au bout du fil et leur avoue sa déception devant leur incapacité à désamorcer sa bombe factice, mais ceci n’était qu’un apéritif. Ils ont désormais 5 heures pour arrêter les 7 autres bombes, bien réelles cette fois, qu’il a posé dans des écoles de la villes ;
–    un pnj, le principal allié des joueurs, les chassent et tente de faire leur boulot à leur place. Il se suicide pour empêcher leur incompétence de leur être mortelle, mais tout le monde va leur reprocher sa mort (et pour cause) et ils perdent de précieux avantages. Si le pnj en question est leur chef, des bouleversements durables et profonds vont arriver dans leur service ;
–    le support de la bombe glisse et elle se dirige tout droit vers une chute (éventuellement pour tomber au milieu d’une réception de 300 personnes dont le maire et le chef de la police), un escalier, des flammes, un terroriste kamikaze ou quoi que ce soit d’autre qui va la faire exploser. Il faut donc la rattraper avant et prendre de grandes risques pour ça, genre se retrouver suspendu au dessus du vide par un bras et tenir la bombe avec l’autre.

 


Règle #3 : Le temps est mon allié

Une des façons les plus simple de représenter un échec est de jouer non pas sur le succès ou pas de l’action tentée (« je fais parler Bob ») mais sur les conditions dans lesquelles le succès à lieu. Une des façons les plus faciles et les plus efficaces d’y arriver et de jouer sur le temps. Effectivement l’action va réussir, mais elle va mettre tellement de temps à réussir qu’elle ne servira plus à rien, ou à beaucoup moins de choses que prévu (Bob nous avertit à 15h58 qu’un attentat va avoir lieu à 16h à l’autre bout de la ville, ou , Mike voit l’assassin, mais il n’est plus qu’à trois mètres de lui et s’apprête à lui bondir dessus).

 


Règle #4 : Un sort pire que la mort

Tout le monde connaît ce point là, donc pas besoin de s’appesantir. L’idée générale est qu’il y a de nombreuses façons d’éviter la mort aux protagonistes pour les garder dans la course tout en leur montrant qu’il y a probablement pire que la mort, vivre avec les conséquences de ses échecs. A mon avis, avec un meneur et un joueur qui acceptent de jouer le jeu, c’est souvent les personnages dont on a les meilleurs souvenirs.

 


Règle #5 : Gérer les défaites totales

Lorsqu’un échec est total et incontestable, il faut l’appliquer et le rendre en effet mémorable et spectaculaire. Généralement il doit être possible de changer l’état de fait qu’elle implique, mais non sans amener une quête en elle-même ou quelque chose à l’échelle de ce qu’aurait apporté la victoire totale. Cela donnera également des moments mémorables aux joueurs et l’impression d’avoir vraiment accompli quelque chose. Par contre, il faut éviter de se mettre dans une situation où de telles défaites peuvent arriver quand il n’y a pas d’enjeu suffisant.

 


Règle #6 : Dans le doute, demander au joueur

Ce point-ci est clair pour tout le monde je pense ?

 

Conclusion

Il n’y a rien dans Hero Quest qui implique que les tests doivent se passer comme ci ou comme ça. Les meneurs doivent se sentir libres d’êtres créatifs sur tout ce qui concerne leur façon d’amener les conflits comme celle de les gérer ou les interpréter tant qu’ils les rendent toujours divertissants pour les joueurs, même lorsqu’ils ne rencontrent pas le succès. L’idée maîtresse est de travailler avec les joueurs, pas contre eux, pour pouvoir faire en sorte que tout soit toujours intéressant. Le principal intérêt à rendre les défaites divertissantes est que les joueurs peuvent s’arrêter de se concentrer sur l’issue des confrontations pour s’occuper davantage d’incarner leurs personnages de façon à préserver cet intérêt inconditionnel. C’est le type d’héroïsme que cherche à provoquer , pas celui qui consiste à sauver les fesses des personnages à grand renfort de points d’héroïsme. C’est apprécier les défaites autant que les victoires qui va amener les joueurs à faire que leurs héros vont se comporter…comme des héros.

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