Imputrescibles

Imputrescibles est un JdR publié depuis fin 2005 chez Zombie Inc. Il était alors sorti uniquement en PDF sur la plateforme Indie-RPG. Mêlant prohibition et zombies, le jeu est surtout la première création originale de Laurent « Bob Darko » Devernay qui s’était alors principalement illustré par sa participation à Brain Soda.

Dix ans plus tard, Laurent a eu l’occasion de travailler sur nombre d’autres projets et une bonne quinzaine de gammes, dont la très attendue adaptation du manga City Hall chez Ankama. Il revient à ses premières amours et nous fait part des 5 trucs qu’il a pu apprendre en travaillant sur Imputrescibles, d’après ses propres termes, soit parce qu’ils ne les a pas faits sur le moment, soit parce qu’il ne les as compris que plus tard.

Pour avoir plus de détails sur Imputrescibles : http://www.legrog.org/jeux/imputrescibles
Pour découvrir le site de Laurent : https://sites.google.com/site/labodebob/

Pour lire sa biographie  : http://www.legrog.org/biographies/laurent-bob-darko-devernay

 

1 – Sachez ce que vous faites !
(Quand on est jeune, on est con)

 

Vous avez une idée, voire plusieurs, de la motivation pour écrire ou illustrer ? Peut-être même des gens pour faire à votre place ce que vous ne savez ou ne voulez pas faire ? Réfléchissez un peu avant de vous lancer.

Pour cela, prenons quatre questions de base pour la conception d’un jeu :
1. De quoi parle votre jeu ?
2. Comment il en parle ?
3. Quel est le comportement attendu de la part des joueurs ?
4. En quoi c’est fun ?

À l’époque, mes réponses auraient pu être à peu près les suivantes :
1. Imputrescibles parle de zombies à Chicago pendant la Prohibition.
2. On y joue des criminels.
3. Heu…
4. Mais puisque je te dis qu’il y a des criminels et des zombies !

C’est dommage, parce qu’il y aurait vraiment matière à faire. Avec le bon angle d’approche et un système adéquat, il y aurait même eu moyen de faire un vrai bon jeu. Bon OK, il y a TOUJOURS, ou presque, moyen de faire un vrai bon jeu.

Aujourd’hui, avant de me lancer pour de bon dans un projet, j’essaie de rédiger une note d’intention. L’idée est de présenter le jeu et ce qu’il contient comme si je voulais le présenter à un éditeur. Le tout en une seule page. Avec ça et d’autres outils de game design, j’obtiens une base solide qui me permet à la fois d’orienter ma réflexion, de la pousser aussi loin que possible, mais aussi de construire des fondamentaux auxquels je pourrai toujours revenir si besoin.

Dans le même registre, testez. C’est bête à dire? mais en même temps ce conseil mériterait beaucoup d’emphase tant les tests sont fondamentaux. N’oubliez pas que vous créez avant tout un jeu. Si vous n’y jouez pas, c’est qu’il y a un vrai souci. Sans faire de la philo de comptoir, on peut se demander s’il s’agit vraiment d’un jeu si personne n’y joue. Mais plus que tout, si vous, vous n’y jouez pas, pourquoi les autres le feraient ?

 

2 – Éditeur, c’est un métier !
(Si vous ne savez pas faire, trouvez quelqu’un qui sait)

 

En des temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le site Indie-RPG proposait la vente de JdR en PDF. Après l’explosion du JDRA sous diverses formes, ce fut donc l’émergence de nombreux studios de création de JdR. C’est bien simple, il y en avait plus que de jeux en vente. C’est dire si on créait beaucoup, à l’époque… ou si on aimait se toucher la nouille.

L’avantage d’Indie-RPG, c’est que n’importe qui pouvait sortir son jeu et le proposer, finalisé (à quelques rares exceptions près), à une horde de joueurs avides de dépenser leur argent durement gagné. Pour les studios, c’était en quelque sorte une nouvelle ruée vers l’or. Sans l’or. J’espère que je n’apprends rien à personne, mais encore une fois, si vous créez du JdR pour l’argent, vous vous êtes planté de vocation. Jouez à l’euro-million, plutôt…

Bref, cela a surtout été l’occasion d’apprendre qu’éditeur, c’est un métier. Même si vous savez tout faire – ce qui est très rare -, vous allez vous retrouver d’un seul coup avec beaucoup de choses à gérer. Généralement, si vous voulez vous lancer, c’est que soit vous sentez pousser une vocation de donneur d’ordres, soit vous comptez au moins en partie écrire votre jeu. Mais qui va l’illustrer ? Le relire ? Le mettre en page ? En parler un peu partout ? Gérer les sous et les répartir entre les contributeurs ? Gérer l’ISBN (le quoi ?) ? Envoyer les services de presse ?

Et encore, le PDF représentait un peu le « mode facile » de l’édition. Pensez aux malheureux qui doivent également gérer l’impression, la distribution, l’administratif et tant d’autres aspects presque toujours largement sous-estimés.

Si vous savez tout faire et que vous vous en sentez capable, c’est parfait. Il ne vous manquera que le rôle principal dans la création de JdR : celui qui viendra pointer du doigt pour vous dire que ça, ça et ça, c’est un peu nul, quand même. Si en plus vous voulez quelqu’un qui vous aide à améliorer ce qui ne va pas, trouvez-vous un vrai éditeur.

 

3 – Parlez de votre jeu, mais avec modération !
(Ta gue*le, Régis !)

 

Ha, l’exaltation de la première création ! Bientôt, le monde entier saura à quel génie il a à faire ! Bientôt, les rôlistes se prosterneront à vos pieds ! Pour les mannequins et autres groupies, là aussi, changez de vocation…

Quoi de mieux pour s’assurer qu’il ne passe pas inaperçu que de commencer dès maintenant à parler de votre projet partout, en continu avec quantité d’extraits, d’images et d’annonces flamboyantes ? Tout simplement d’attendre que ce soit le bon moment et de le faire intelligemment.

Imputrescibles et quelques autres jeux se démarquèrent à l’époque sur les communautés rôlistes du Web par un teasing intensif. C’est bien simple, vous ne pouviez pas aller sur une discussion sans en entendre parler.

« L’été tarde à arriver cette année, non ?
– Ha oui, à moi aussi, la sortie d’Imputrescibles me paraît lointaine. »

« Ronald Reagan est mort !
– Je t’ai parlé de ce magnifique jeu sur des zombies à Chicago ? »

Sur le coup, ça peut sembler être une bonne idée. Après tout, c’est de la pub pour le jeu, non ? Puis il vaut mieux de la mauvaise pub que pas de pub du tout. Sauf que non. Rapidement, les gens en auront marre d’entendre systématiquement parler de votre jeu. Même si vous faites l’effort d’en dévoiler un peu plus à chaque fois (une image, un extrait, un kit de démo, une phrase dont vous êtes particulièrement fier), ils vont rapidement arriver à saturation. Si en plus vous vous y prenez trop à l’avance, vous n’avez pas intérêt à accumuler du retard sous peine de vous prendre un violent retour de bâton.

Pour parler plus efficacement de votre jeu, il est essentiel de ne pas le faire trop tôt et de communiquer sur des éléments concrets, si possible en vous cantonnant aux lieux conçus pour ça. Sur la toile comme ailleurs. Mais surtout, sachez que les autres gens, ceux qui ne participent pas au projet, sont souvent les mieux placés pour vous faire de la pub. Et ça tombe bien parce que c’est ce qui arrivera probablement si vous testez votre jeu.

 

4 – Évitez les plans à long terme !
(« Voulez-vous connaître des secrets ? »)

 

Imputrescibles devait avoir un suivi à profusion. Un supplément sur la justice, une campagne, etc. Dans la pratique, ça ne s’est pas fait. Pour diverses raisons.

Le milieu du JdR, on l’a déjà vu, n’est pas une industrie phénoménale brassant des millions d’euros. En conséquence, évitez de prévoir des gammes sur dix ouvrages étalées sur plusieurs années. Ou même sur plusieurs mois. Ou même de cinq ouvrages.

Bref, évitez les plans à long terme.

Quand on se lance, il est facile de s’emporter et d’envisager une gamme complète. Même si certains éditeurs professionnels font ça très bien (et encore, certains se plantent), restez raisonnable.

Commencez par mettre tout ce dont les meneurs auront besoin pour jouer dans le livre de base. S’il manque quelque chose et que la suite ne vient pas, ça fera d’autant moins de gens qui pourront jouer à votre jeu et d’autant plus de personnes qui ne s’intéresseront jamais à la suite.

Même avec la meilleure volonté du monde, vous ne savez pas ce qui va se passer. Les raisons pour que les suppléments de votre jeu ne sortent pas sont nombreuses et parfois inattendues (mauvaises ventes, désistements, baisse de motivation, autres projets prioritaires, etc.). Même si c’est pour de bonnes raisons, même si vous étiez tout à fait sincère sur le moment, il est possible que vous ne puissiez pas faire tout ce que vous vouliez. D’ailleurs, vous vous souvenez quand je vous disais que le JdR ne vous rendrait pas riche ? Dites-vous qu’il va falloir trouver une autre motivation pour passer à la suite. Sachant que vous n’aurez pas non plus nécessairement tous les retours que vous voudrez, ni ceux que vous attendez. Là encore, pour avoir des retours sur votre jeu, une bonne méthode est d’y faire jouer.

Pourtant, tout le monde ou presque vous le dira : un jeu se vend mieux s’il propose des suppléments. Proposez déjà un livre de base et faites tout ce qu’il faut pour qu’il soit aussi bon que possible. Si l’occasion se présente, il sera toujours temps d’envisager un suivi plus tard.

 

5 – Faites travailler votre imagination !
( La création, un boulot à plein temps)

 

Au-delà de toutes les considérations éditoriales et autres éléments pratiques, ce conseil est peut-être le plus utile.

Quelques années après la sortie d’Imputrescibles, j’ai commencé à envisager une nouvelle édition du jeu, fort des expériences accumulées entre-temps. J’ai pris le temps d’y réfléchir en testant différents angles d’approche. En me documentant sur l’année 1919, j’ai découvert un événement historique que je ne connaissais pas du tout. En creusant un peu, celui-ci s’est relié à certaines de mes envies et idées pour donner naissance à un tout nouveau projet de JdR : Justices. Ça n’avait rien à voir (ou presque) avec Imputrescibles, mais il y avait là quelque chose de vraiment motivant. Aujourd’hui, ce jeu est toujours en cours de développement. Il a beaucoup avancé grâce à un atelier de création de JdR toulousain, mais il reste encore beaucoup de boulot. En attendant, j’y crois dur comme fer et je suis sûr que j’en ferai quelque chose.

Tout ça pour dire que l’imagination est le muscle le plus utile pour créer du JdR. Oui, exactement comme quand on joue ou qu’on mène. Mais, c’est d’autant plus vrai pour la création.

Comme il s’agit d’un muscle, il faut le faire travailler. Quand vous avez une idée, même surgie de nulle part (c’est souvent de là qu’elles viennent), creusez-la, développez-la, scrutez-la, tirez-en tout ce que vous pouvez et notez-la pour plus tard. Ou pour tout de suite. Elle finira bien par vous être utile. Et si ce n’est pas le cas, elle vous aura toujours permis de faire travailler votre imagination. Le cerveau est ainsi fait que si vous donnez de l’importance à ce qui en sort, il vous le rend bien. En valorisant vous-même vos idées, elles devraient arriver de plus en plus nombreuses et vous apprendrez vite à les dénicher dans des endroits que vous n’auriez pas soupçonnés.

Si vous voulez en savoir plus là-dessus, je vous recommande vivement Wonderbook : the Illustrated Guide to Creating Imaginative Fiction, par Jeff VanderMeer. Même les articles ou ouvrages de théorie sur le game design (mais bon, vous connaissez déjà Tartofrez ) pourront vous être utiles parce qu’ils vous donneront des outils pour structurer vos idées. Cette structure ne doit pas nécessairement être vue comme un outil formel et rigide, c’est avant tout un moyen d’agencer vos idées pour en faire venir d’autres. Voyez ça comme un puzzle que vous tentez d’assembler avec les pièces en votre possession afin d’imaginer celles qui vous manquent encore.

Bref, imaginez, posez-vous des questions et regardez autour de vous.

 

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