IMPERIUM

IMPERIUM est une adaptation officieuse en JdR de l’univers des romans Dune de Frank Herbert. Mise en ligne gratuitement en 2002, il s’est très rapidement imposé comme une des perles du jeu de rôle amateur. Ce jeu est l’œuvre d’Olivier Legrand qui avait déjà travaillé sur France, le célèbre supplément du Monde des ténèbres, avant de s’illustrer par de nombreux autres jeux amateurs et de revenir cette année avec celui adapté de l’univers de ses propres bandes dessinées : Les Quatre de Baker Street. Habituellement peu disert sur ses productions, Olivier vient nous faire part des 5 trucs qu’il a pu apprendre en travaillant sur IMPERIUM, en insistant notamment sur le travail d’adaptation et les libertés et contraintes de l’édition amateur.

 

Pour découvrir IMPERIUM : http://couroberon.com/site2/imperium/
Pour lire la biographie d’Olivier : http://www.legrog.org/biographies/olivier-legrand
Pour découvrir le site et plusieurs jeux d’Olivier : http://storygame.free.fr/

 

0. Introduction

 

Depuis la mise en ligne de la première version d’IMPERIUM, le jeu s’est enrichi d’un grand nombre de suppléments et en est aujourd’hui à sa quatrième édition (disponible depuis le site de La Cour d’Oberon). Les Cinq Trucs qui suivent reflètent mon expérience en tant que concepteur et « auto-éditeur » (metteur en ligne ?) de ce jeu, depuis la conception de sa première mouture jusqu’à sa récente renaissance (sous la forme de PDF avec moult illustrations).

Ces Cinq Trucs ne sont pas forcément des « leçons » que j’ai apprises ou comprises a posteriori, mais plutôt des éléments de réflexion ou des opinions préalables que mon parcours sur ce jeu est venu confirmer, nuancer ou modifier.

Puisque nous sommes dans l’univers de Dune, je commencerai par une petite citation extraite du roman fondateur de Frank Herbert :

« C’est à l’heure du commencement qu’il faut tout particulièrement veiller
à ce que les équilibres soient précis. »

Extrait du Manuel de Muad’Dib, par la princesse Irulan

 

1. On peut improviser quand on masterise, pas quand on crée un jeu.

 

Créer un jeu de rôle est une tâche de longue haleine, pour laquelle il faut être bien préparé. Dès le début, il faut avoir une idée claire des objectifs à atteindre, de ce que l’on souhaite vraiment réaliser avec ce jeu. Partir « à l’aventure », se lancer au hasard en pensant que le projet se définira au fur et à mesure revient à voyager sans avoir de destination : c’est le meilleur moyen de n’arriver nulle part, de se perdre ou de tourner en rond… Comme on rencontrera fatalement, en cours de route, des difficultés inattendues, des obstacles imprévus ou même de nouvelles possibilités à explorer, il est indispensable d’avoir, dès le début, une direction claire, un cap à ne jamais perdre de vue. En termes de background et de contexte, cela signifie qu’on doit, bien sûr, avoir une idée précise (ou, dans le cas d’IMPERIUM, une bonne connaissance) de l’univers de jeu, mais cela signifie aussi qu’il faut « cadrer » cet univers, définir un focus, une perspective, un angle d’approche. Dans le cas d’IMPERIUM, ce focus est le monde des Maisons, des intrigues politiques et des jeux de pouvoir : sans ce focus, un jeu de rôle « dans l’univers de Dune » risque tout simplement d’être trop vaste, trop vague et donc de manquer sa cible. Il y a une expression anglaise qui traduit parfaitement cette idée (et qui correspond un peu à notre proverbe « qui trop embrasse mal étreint ») : si le filet qu’on lance est trop large, alors on n’attrape rien.

 

2. Adapter une œuvre de fiction en JdR suppose une démarche de conception bien particulière.

 

Le système de jeu doit refléter au maximum l’univers que l’on prétend simuler en jeu. Cette idée a toujours été au centre de ma démarche de concepteur de systèmes de jeu ; je ne l’ai pas découverte en travaillant sur IMPERIUM, mais comme ce jeu était mon premier JdR adaptant une œuvre de fiction préexistante, la conception de son système m’a vraiment permis de mettre cette idée en pratique (et à l’épreuve).

Il est sans doute beaucoup plus facile de greffer un système préexistant ou bricolé sur n’importe quel univers de jeu que de partir de zéro et d’essayer de construire quelque chose qui traduise vraiment cet univers en termes de jeu – mais si cette démarche-là est plus difficile, elle se révèle aussi beaucoup plus satisfaisante, que ce soit au cours du processus de création qu’à l’usage « en jeu ». Quand on souhaite adapter un roman, un film ou une série en JdR, la meilleure approche est, à mon sens, de se réimmerger dans le matériau source, de le disséquer, de le désosser, de « l’autopsier » de façon méthodique pour pouvoir répondre à des questions comme : qu’est-ce qui définit vraiment un personnage dans cet univers ? Que se passe-t-il vraiment quand deux personnages s’affrontent ? Quelle semble être l’importance accordée à des concepts comme l’expérience ou l’apprentissage ? Dans les scènes de combat, sur quels éléments le récit met-il l’accent (rapidité, habileté, blessures, armes, etc.) ? Ce n’est qu’après avoir dégagé ces questions que l’on peut faire les bons « choix de conception » sur la façon de définir un personnage ou de résoudre une situation en termes de jeu. Le moteur de jeu d’IMPERIUM, par exemple, donne des chances de réussite très élevées aux personnages à partir du moment où ceux-ci possèdent la bonne compétence, même au niveau 1 ; leurs chances d’échec sont donc très réduites, surtout par rapport à la « logique » présente dans beaucoup d’autres JdR. En revanche, ce sont les confrontations entre personnages qui peuvent rendre décisif chaque niveau de compétence – ces confrontations sont le « vrai test » des capacités d’un personnage. L’objectif d’un tel moteur de jeu est de refléter la façon dont les personnages de Dune nous sont présentés dans l’œuvre source : comme des individus hyper-affûtés, surentraînés, vivant dans une société où le conflit (sous toutes ses formes, même les plus codifiées) constitue toujours l’élément de résolution décisif.

 

3. Internet est le meilleur ami des créateurs de JdRA.

 

Bien sûr, Internet vous libère de toutes les contraintes liées à la diffusion et à la distribution ; sans Internet, un JdR amateur comme IMPERIUM n’aurait tout simplement pas pu être diffusé et n’aurait probablement jamais existé. En tant que jeu de rôle amateur diffusé sur le Web de façon totalement gratuite, IMPERIUM tombe dans la catégorie du fanwork — au même titre, par exemple, qu’un site Web « de fans » ou qu’un forum de fanfics basées sur cet univers ou sur n’importe quel univers de fiction (et il y en a des myriades sur la toile). Cette liberté n’est pas seulement importante en termes de droit et d’usage, elle a aussi un impact crucial sur le travail même du concepteur ; en tant qu’espace privilégié du fanwork et de la gratuité, Internet permet une liberté qu’aucun jeu commercial ne peut offrir – y compris sur le plan créatif.

Dégagé de toute contrainte édito-commerciale, le concepteur peut faire des choix de conception aussi radicaux qu’il le souhaite. Dans IMPERIUM, par exemple, les personnages sont déjà très puissants dès leur création et leurs capacités n’augmentent pas en cours de jeu d’une façon aussi significative que dans l’immense majorité des JdR commerciaux. Là encore, c’est un choix de conception qui vise à refléter en jeu l’esprit de l’œuvre source… mais dans un jeu commercial, dont la publication s’inscrit fatalement dans une logique de gamme, de suivi commercial, on aura beaucoup plus tendance à aller vers des systèmes « ouverts » permettant de rajouter toujours plus d’options, de nouvelles possibilités ou de « crunch », bref toujours plus de « matière à suppléments »… Et en ce qui concerne la marge de progression des personnages, l’immense majorité des JdR commerciaux continue à perpétuer l’idée qu’un personnage DOIT commencer « en bas de l’échelle » et que l’expérience est la principale ou la seule mesure de son ascension sur cette fameuse échelle (une échelle qui est en fait beaucoup moins présente ou importante dans les romans, les films ou les séries que dans les jeux de rôle).

Or, en règle générale (il y a bien sûr des exceptions), les JdR commerciaux inspirés d’œuvres de fiction refusent de casser ce moule, même lorsque cela permettrait une meilleure émulation en jeu du matériau source ; pourquoi ? Parce qu’en perpétuant ce fameux modèle de « progression sans fin par l’accumulation d’expérience », on peut vendre plus de suppléments, de splatbooks et d’extensions pour le MJ¹. Avec un jeu gratuit, au contraire, comme vous n’avez rien à vendre, vous pouvez proposer des règles qui s’affranchissent totalement de cette logique et de ses contraintes (et qui collent donc sans doute mieux au matériau source). Dans le cas de l’univers de Dune, par exemple, si je veux jouer un Mentat, c’est pour jouer un VRAI Mentat, et pas un « Mentat débutant » qui devrait gagner ses capacités au fur et à mesure, « au mérite » pourrait-on dire — tout simplement parce qu’un tel personnage n’existe  pas dans l’univers de Dune (une fois le Mentat formé, il est déjà ultra efficace et possède l’ensemble de ses capacités). La même logique peut s’appliquer aux adeptes Bene Gesserit ou à n’importe quel autre type de personnage emblématique de l’univers de Dune.

Bien sûr, toutes ces considérations n’ont de sens qu’à l’intérieur d’un modèle particulier, celui du fanwork gratuit. Pour bénéficier de ses avantages, il faut aussi en accepter les contreparties (le statut amateur, l’absence totale de rentabilité, etc.). On ne peut pas jouer sur deux tableaux. Je ne dis pas que c’est le seul modèle viable (le JdR a besoin de jeux commerciaux) et je n’attache au mot « commercial » aucune connotation péjorative – mais il s’agit clairement d’un modèle différent, avec ses propres avantages et contraintes.

 

4. Oui, princesse Irulan, les équilibres doivent être précis.

 

Et pour préserver ces fameux équilibres, il est parfois nécessaire de faire un peu d’équilibrisme. Pour le concepteur de JdR, la notion d’équilibre correspond le plus souvent à cette fameuse « game balance » si présente dans les discussions sur les systèmes de jeu… et si difficile à définir. Il me semble indispensable de ne pas confondre cette idée de « game balance » avec une hypothétique « system balance » : un jeu de rôle n’est pas qu’un système de jeu, et l’équilibre du jeu ne passe pas uniquement (ou totalement) par les règles. Les règles sont des possibilités : le jeu ne devient effectif qu’à partir du moment où ces règles sont utilisées, où ces possibilités sont mises en œuvre. À mon sens, la notion de « game balance » ne se limite donc pas aux seules règles, mais s’étend aussi à l’utilisation qui en est faite.

Prenons l’exemple de la puissance relative des différents types de personnages (un débat aussi vieux que les classes de perso de D&D). Dans l’univers de Dune, certains personnages SONT plus puissants que les autres, point barre. Quelle que soit la façon dont vous envisagez les choses, une Sœur du Bene Gesserit possède des capacités spéciales avec lesquelles aucun autre personnage ne peut réellement rivaliser – et essayer de « tordre » ou de forcer les choses afin de les « équilibrer » est la meilleure façon de pervertir la logique initiale du système. En réalité, ce problème n’est pas aussi signifiant qu’on pourrait le croire – tout simplement parce que le créateur de l’univers y a déjà intégré une forme de « game balance » implicite (un « story balance » ?), qui ne s’exprime évidemment pas en termes de règles quantifiables, mais en termes dramatiques (développement de l’intrigue, rôle des personnages, etc.) : ainsi, dans l’univers de Dune, les adeptes Bene Gesserit sont peut-être plus puissantes qu’à peu près n’importe qui, mais elles paient cette puissance par d’énormes contreparties : leur conditionnement, leur soumission totale à leur ordre, tout cela limite considérablement leurs possibilités d’action en les inscrivant dans un cadre encore plus strict et contraignant que celui dans lequel évoluent les autres personnages.

Mais puisque nous parlons des Bene Gesserit, un mot sur les Révérendes Mères, dont le traitement en termes de jeu est détaillé dans le supplément Manuel du Bene Gesserit. Codifier en termes de jeu les capacités de ces personnages a probablement été une des tâches les plus difficiles de « l’aventure IMPERIUM » — et ce sont aussi les seuls personnages pour lesquels j’ai décidé, après mûre réflexion, de faire une exception au principe « on doit pouvoir créer et jouer n’importe quel type de personnage du cycle ». Pourquoi ? Non seulement parce que les Révérendes Mères sont réellement surpuissantes, même à l’aune d’un jeu comme IMPERIUM, mais aussi (et surtout) parce que leur utilisation en tant que personnages-joueurs change complètement la donne, « change le jeu » même, pourrait-on dire. D’un autre côté, je n’aurais pas trouvé satisfaisant de m’en tirer par une pirouette du style « les Révérendes Mères sont obligatoirement des PNJ », parce qu’un tel choix serait allé à l’encontre de l’esprit et des objectifs du jeu. J’ai donc préféré traiter leur cas particulier dans un supplément dédié, afin de pouvoir l’examiner de façon approfondie, non seulement en termes de règles, mais aussi en termes de jouabilité. Il est donc parfois préférable d’explorer certains aspects d’un univers de jeu dans des suppléments dédiés plutôt que dans les règles de base, tout particulièrement lorsque ces éléments peuvent avoir une influence cruciale sur ce que j’ai appelé le focus du jeu. Dans le cas d’IMPERIUM, ce focus est ce que j’ai appelé, dans les règles de base, « le Jeu des Maisons » — et le fait d’avoir ainsi cadré ou formalisé les choses m’a finalement permis de rendre plus logique et plus satisfaisant le choix de traiter les Révérendes Mères à part, puisque ces dernières, utilisées comme PJ, font clairement glisser le focus de base d’IMPERIUM du Jeu des Maisons classique vers un autre jeu, que l’on pourrait appeler le Jeu des Chapitres (Bene Gesserit).

 

5. Rien ne remplace une image.

 

Même amateur, même gratuit, un jeu de rôle « présente » mieux s’il est pourvu d’illustrations – une leçon que j’ai apprise sur La Terre des héros (mon JdR amateur inspiré de l’œuvre de Tolkien) et que j’ai pu ensuite mettre à profit sur les quatrièmes éditions de Solomon Kane et d’IMPERIUM. Et qu’on le veuille ou non, ça change tout… Après, la difficulté est de trouver des artistes qui acceptent de vous laisser utiliser leurs œuvres – et là encore, on en revient aux formidables possibilités offertes par Internet — avec, par exemple, une communauté comme DeviantArt.

[1] De façon générale, les JdR commerciaux adaptant des univers préexistants ont toujours tendance à relativiser les choses, à proposer aux joueurs d’incarner des personnages plus faibles que les protagonistes de l’œuvre-source, comme s’il fallait à tout prix priver les joueurs de la puissance réservée aux « vrais héros », mais dans ce cas, pourquoi vouloir jouer dans cet univers ?  Bien sûr, il y a des exceptions (comme par exemple les remarquables JdR officiels Doctor Who et The One Ring de Cubicle 7, dont les systèmes de jeu font vraiment passer l’émulation de l’œuvre-source avant toute autre considération).

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