Émergence et Matrice ID

Il existe de nombreuses raisons qui peuvent nous pousser à observer une séance de jeu de rôle avec une distance critique. Même si c’est loin de concerner toute la population rôliste, on peut par exemple vouloir effectivement faire une critique formelle du jeu, mener des playtests de ses créations ou celles de tiers, etc. Bien plus couramment, on peut vouloir parler en profondeur de son jeu préféré avec ses amis, de ce que l’on a aimé ou pas, essayer de comprendre pourquoi une partie ou une campagne n’a pas marché, etc. Plus récemment, on peut se demander ce qui change réellement entre nos parties en ligne et nos parties sur table. En fait, même si la plupart d’entre nous ne s’embêtent pas forcément avec ça durant les séances, c’est finalement une activité très fréquente.

Avant même les questions de subjectivité et de goût, une des principales difficultés est que si vous donnez un même jeu et un même scénario à plusieurs groupes, voire à un même groupe dans un contexte différent, vous aurez probablement des séances qui varient grandement de l’une à l’autre. Les rôlistes connaissent le problème depuis toujours ou presque, mais difficile, dans ces conditions, de déterminer à partir d’une séance, ou d’un petit nombre de séances, ce qui dépend vraiment du jeu, du groupe ou du contexte dans lequel la partie a lieu. De plus, cela pose la question de savoir si on peut être observateur et jouer en même temps, qui, si elle semble ne poser aucun souci aux habitués, est un véritable marronnier dans le discours académique, notamment de la part des commentateurs qui ne connaissent que très peu le jeu de rôle et n’ont donc guère d’autre choix que de se positionner sur la méthode. De notre côté, on a l’habitude d’aborder cette incapacité à reproduire une partie donnée sous l’angle de l’intercréativité, et nous sommes persuadés que loin d’être uniquement un problème, il s’agit surtout d’une des principales richesses de notre loisir.

Confrontés malgré tout de façon régulière à cette difficulté, on a fini par mettre en forme un petit outil pour notre usage personnel, la matrice ID (pour « Intentions – Design »). On s’en sert principalement pour donner un peu de structure à certains de nos playtests et pour quelques interventions, comme les stages de conception de JdR. Le nom peut faire peur, mais il est à prendre au sens littéral. Il n’y a rien de révolutionnaire, juste la formalisation d’une idée simplissime, d’une grille de lecture qui consiste à confronter ce qui émerge durant la partie avec les intentions du concepteur du jeu et son design. Juste, on va trouver le moyen de faire long, quand même…

C’est quoi cette histoire d’émergence ?

Cette notion a plusieurs définitions selon la discipline à laquelle on s’intéresse, mais l’idée générale est la suivante : ce qui émerge est ce qui ressort ou se produit en partie, mais que l’on peut difficilement relier à une cause unique. Et en effet, ce qui se passe durant une séance, tant autour de la table que dans l’univers de jeu, ne peut se résumer au simple résultat des règles qui ont été mises en place par les concepteurs ou les organisateurs de la partie. On ne va pas insister à nouveau sur la notion d’intercréativité ici, mais à première vue, cet élément est sans doute assez évident pour la plupart des rôlistes. Pour l’anecdote, même s’il ne l’appelait pas ainsi, Gygax revendiquait déjà cette propriété et disait vouloir l’encourager en juillet 1975 dans le deuxième numéro d’Alarums & Excursions. Il y expliquait notamment que Dave Arneson et lui, les deux co-auteurs de Dungeons & Dragons, n’y jouaient pas de la même façon.

Cependant, même au sein de notre loisir, cela ne va pas autant de soi que l’on pourrait le penser. Lors de la décennie qui vient de se terminer, par exemple, on trouvait certains jeux conçus avec un tel souci de fournir une expérience resserrée et maîtrisée qu’ils en étaient presque « verrouillés ». Même si ce phénomène ne concernait qu’une minorité d’entre eux, c’est ce que l’on appelait de façon péjorative « la dictature de l’auteur » ou, selon certaines acceptions, « machine à saucisses ». Il serait injuste de ne souligner que les mauvais aspects de cette façon de concevoir des jeux, mais on ne peut vraiment pas dire que celle-ci cherchait à favoriser l’émergence. Dans d’autres domaines, comme le jeu vidéo, cette notion s’est beaucoup démocratisée avec les MMORPG, les mondes ouverts et la popularisation de pratiques visant à détourner et à se réapproprier les jeux, comme les machinima et le speed running.

Bref, résumons en disant que l’expérience émergente est ce qui se passe lors de la séance et qu’à moins de totalement verrouiller son jeu, on ne peut la prévoir ni la concevoir avec exactitude. Cependant, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas chercher à favoriser plutôt certains types d’émergence et à orienter ou encadrer l’expérience des joueuses.

Maintenant, il y a des types d’émergence ?

En fait, pour pouvoir observer de façon critique une séance ou une phase de jeu, il devient rapidement nécessaire de réussir à qualifier ces types d’émergence. Est-ce que ce qui se passe durant la séance correspond à ce qui était attendu ? S’il y a un écart, quelle est sa nature ? Là encore, le but n’est pas forcément d’obtenir une classification particulièrement complexe et précise, mais au contraire d’avoir un outil assez simple pour pouvoir être réutilisé facilement sans, pour l’instant, trop entrer dans les détails de ce qui rend chaque expérience unique. À ce stade, l’objectif est juste de créer des familles d’expériences émergentes pour organiser d’éventuelles discussions ou pour pouvoir retravailler un prototype.

Dans son article de 2018 sur le Grandeur Nature, « Emergence, Iteration, and Reincorporation in Larp », Evan Torner revient sur cette notion et distingue justement quatre types d’expériences émergentes. Il commence par évoquer ce qu’il appelle l’émergence recherchée (cultivated) qui découle directement de choix de conception des auteurs, et est donc à la fois safe de leur point de vue et thématiquement pertinente. Il différencie ensuite trois autres types d’expériences :
+ l’émergence non recherchée (uncultivated) qui est elle aussi safe et thématiquement pertinente, mais qui ne découle pas directement des choix de conception des auteurs ;
+ l’émergence divergente (divergent) qui reste safe, mais dont le contenu n’est plus en accord avec la thématique et les tropes que les auteurs souhaitaient pour la partie ;
+ l’émergence débridée (unleashed) peut être thématiquement appropriée ou pas, mais se définit surtout par le fait de ne plus être safe et de mettre les joueuses en danger.

On peut schématiser la classification de Torner par le tableau suivant :

 Thématiquement
pertinent
Thématiquement non pertinent
SafeÉmergence recherchée (si intentionnelle)
ou non recherchée (sinon)
Émergence divergente
Non safeÉmergence débridéeÉmergence débridée

Or, si ce modèle est intéressant et nous a permis de retravailler le nôtre, il ne correspondait que partiellement à nos besoins. Comme nous étions surtout dans une logique de playtest où notre outil allait être utilisé par des auteurs de prototypes pour améliorer leurs jeux, il était plus pertinent de nous concentrer d’abord sur deux dimensions uniquement. Comme chez Torner, La première consistait à déterminer si le contenu généré était pertinent avec le thème ou le canon esthétique jugé comme acceptable. Pour le dire plus simplement, si je cherche à faire du Star Wars et que dans la séance, le personnage Jedi commence à torturer son camarade Ewok, ou que les personnages ne pilotent jamais de vaisseaux, il y a sans doute quelque chose qui ne fonctionne pas. L’autre dimension consistait à ne pas se limiter à qualifier l’expérience de safe ou pas, mais à évaluer la pertinence de la façon de jouer par rapport à ce qui est aussi jugé comme acceptable, au sens le plus large possible. Ainsi, il peut s’agir des aspects techniques, mais aussi de la durée des parties, de la complexité du jeu, le fait de faire appel au hasard, etc.

Au final, cela prend cette forme :

 Thématiquement
pertinent
Thématiquement non pertinent
Façon de jouer conforme aux attentesCadréeAlternative
Autre façon de jouerExtrêmeHors de contrôle

Tout cela, ça ne sert qu’à savoir si la partie se passe mal ou pas ?

Alors non, mais c’est l’occasion de préciser une notion très importante : l’essentiel n’est jamais le nom de la catégorie. Celle-ci ne sert qu’à faciliter les explications. La seule chose qui importe vraiment est que vous vous posiez les questions qui vous amènent à en choisir une. Et même mieux : que vous vous obligiez à les poser, tellement il est facile de les oublier une fois pris dans le cours de la partie ou du développement du jeu. Par exemple, en observant une séquence, vous remarquez que tous les combats se terminent par des coups critiques particulièrement meurtriers et graphiques. Vous pouvez décider que c’est pertinent ou inapproprié d’un point de vue thématique (est-ce que le côté gore est adapté ? Est-ce qu’il l’est toujours si c’est à chaque fois ?), mais également de celui des conséquences plus ludiques (est-ce qu’on ne doit pas refaire de personnages trop souvent ? Est-ce que ce n’est pas répétitif ? Est-ce que cela ne prend pas trop de temps à gérer ?). Vous pouvez par exemple tout à fait estimer que cette phase de jeu est extrêmement complexe ou longue, dans le sens où elle est dans le ton de votre univers, mais qu’elle vous demande de parcourir bien trop de tables de descriptions de blessures en tant que meneur. Au contraire, vous pouvez estimer que la façon de jouer est exactement celle que vous attendez, mais que l’habitude du meneur de rajouter systématiquement de l’hémoglobine en fait une sorte de version alternative du jeu, bien plus sanglante.

Au-delà de ces questionnements qui vous aident à savoir ce que vous attendez exactement de votre jeu ou de votre séance, vous pouvez également vous servir de cette classification pour faire une photographie de ce qui vous semble important à un moment donné sur une partie, une phase de jeu, un prototype, etc. L’exemple fictif ci-dessous correspond à un résumé de ce qui est ressorti d’une séance de test essentiellement portée sur les combats d’un jeu de type wuxia volontairement assez violent.

 Notes pour la séance de test n° 3
CadréeLa dynamique des combats est bonne. Leur durée est satisfaisante et la violence est certes graphique, mais tout à fait dans le registre recherché.
AlternativeLe système de combat est accessible et rapide, mais les joueuses ont un peu du mal à savoir quand elles doivent respecter une forme de réalisme ou quand elles peuvent se lâcher et aller dans le spectaculaire.
ExtrêmeRien de particulier !
Hors de contrôleLes joueuses ne savent pas forcément quel type de personnage créer et, sans indication extérieure, le groupe a tendance à être globalement incohérent, loin des canons du genre et bancal techniquement.

Profitons de cet exemple pour insister sur un point : même s’il est facile de faire la confusion, les éléments ci-dessus ne parlent pas forcément de ce qui doit être changé ou laissé tel quel dans un prototype ou une phase de jeu, mais de l’adéquation entre ce qui se passe à la table et ce qui est attendu. Par exemple, si on se réfère à la première ligne, la violence des combats était appropriée (cadrée), mais peut-être que le meneur a eu vite l’impression de tourner en rond et que le jeu aurait besoin de fournir plus d’exemples pour tenir sur le long terme. Inversement, on peut décider que la difficulté rencontrée par les joueuses pour savoir quand agir de façon spectaculaire et qui a créé un décalage (alternative) est finalement tout à fait acceptable si elle disparaît rapidement et qu’elle est le prix à payer pour un système particulièrement efficace sinon. On peut également s’apercevoir que cette gêne n’est due qu’à ce groupe ou aux conditions de la partie, et ne dit finalement pas grand-chose du prototype en lui-même.

C’est la raison pour laquelle il peut être intéressant d’intégrer à ces réflexions sur l’émergence deux questions supplémentaires : « est-ce que ce qu’il se passe en séance est directement causé par le jeu ou par autre chose ? » et « en quoi est-ce que je veux que le jeu le provoque, le laisse se produire ou l’empêche ? ». Ce sont justement celles qui sont au cœur de la matrice ID.

Ah, on y arrive ! Et votre matrice ID, elle marche comment ?

La matrice ID consiste à observer une séance ou une phase de jeu et à noter, pour chaque élément qui vous semble important si, selon vous :
+ il se produit grâce au jeu, pour d’autres raisons ou pas du tout ;
+ il est intentionnel, non intentionnel, voire si on a cherché à l’éviter.

Vous placez ensuite ces éléments dans un tableau qui a l’aspect suivant :

 IntentionnelNon intentionnelContraire aux intentions
Se produit « by design »   
Se produit pour d’autres raisons   
Ne se produit pas   

Sur le principe, rien de bien compliqué, donc. Comme tous les outils de ce type, on pourra ergoter sur les cas limite entre deux catégories, le niveau de détail et sur la possibilité de trancher, mais comme il s’agit surtout d’un outil visant à structurer une réflexion ou une discussion et non à la cloisonner, cela ne pose que très rarement problème. Dans le pire des cas, si vous vous trompez, vous ferez quelques essais en plus, mais en pratique il est même rare que ce soit nécessaire.

Comme pour le tableau précédent, on a mis quelques noms pour faciliter la discussion autour des catégories, mais c’est vraiment très secondaire. Aussi, si vous avez un doute sur le sens d’une catégorie, contentez-vous juste de revenir au deux critères qui la définissent. Par exemple, s’il n’est pas forcément évident de voir la différence entre ce qui correspond à une « coïncidence » ou ce qui est « accidentel », il suffit de regarder la matrice pour voir que la première traite d’un élément pour lequel l’auteur n’avait pas d’intention claire alors que le second est justement quelque chose qu’il cherchait à éviter.

 IntentionnelNon IntentionnelContraire aux Intentions
Se produit « by design »Motorisé (+)SpontanéInfligé (-)
Se produit pour d’autres raisonsIncité (+/-)CoïncidenceAccidentel (-)
Ne se produit pasManquant (-)LimitéEmpêché (+)

Pour voir ce que cela donne concrètement, reprenons notre exemple de notre jeu wuxia. En rajoutant quelques éléments afin d’avoir quelque chose dans chaque catégorie (ce qui n’a rien d’obligatoire), on peut imaginer quelque chose dans ce goût-là :

 IntentionnelNon IntentionnelContraire aux Intentions
Se produit « by design »Effets spectaculaires et gores dans les combatsBeaucoup de temps passé à faire du dramaLe meneur réutilise les mêmes effets et à du mal à se renouveler
Se produit pour d’autres raisonsLes séances commencent et finissent par un combatParties de 5 h uniquementLes joueuses ne savent pas trop quand privilégier le réalisme ou le spectaculaire
Ne se produit pasPersonnages de débutants diversifiés et efficaces techniquementCréation de groupes cohérentsCombats interminables

Si on se concentre sur les points qui n’ont pas été vus précédemment, on peut comprendre à la lecture de cette matrice ID que :
+ même si ce n’est pas volontaire, ce jeu semble spontanément amener les joueuses à faire beaucoup de drama. Peut-être est-ce lié à la mécanique de camaraderie présente dans le jeu ;
+ celui-ci semble également inciter les joueuses à toujours commencer et finir les séances par un combat, même si aucune règle n’y pousse ;
+ elles ne jouent que des parties de 5 h, mais c’est une coïncidence qui n’a pas vraiment de rapport avec la façon dont le jeu est conçu.

Naturellement, ce type de représentation a tendance à davantage souligner ce qui ne fonctionne pas encore tout à fait plutôt que ce qui fonctionne, mais, outre le fait que ce ne soit pas forcément incohérent dans une logique de playtest, cela dépend en fait de ce que vous souhaitez mettre en avant et considérez comme saillant. Dans notre exemple, la durée des combats et leur côté spectaculaire sont des points positifs. D’autres, comme le temps passé à faire du drama, peuvent être une qualité ou un défaut, même si le premier semble l’emporter dans ce cas.

Les tableaux précédents ne servent plus à rien ?

Selon ce qui vous paraît le plus utile, vous pouvez choisir de lier la matrice ID avec celle des différents types d’émergence, mais ce n’est pas une obligation. Dans le cadre de ce billet, il était plus simple d’expliquer le cheminement en partant de cette notion et en déroulant. Toutefois, en pratique, on fait plutôt l’inverse : on commence par la matrice ID et on réfléchit au type d’émergence par la suite, si on a besoin d’approfondir ou de s’assurer que l’on se pose les bonnes questions.

Revenons à notre exemple. On a vu que le jeu avait tendance à amener spontanément les joueuses à faire du drama. Si on réfléchit en termes d’émergence, on peut se demander si cela est pertinent comme façon de jouer, et si cela vous semble dans le ton. Vous pouvez par exemple trouver que la règle fonctionne bien et que cela ne dénature pas le jeu, mais vouloir approfondir l’aspect thématique en cherchant à faire en sorte que ce drama ressorte davantage dans les combats plutôt qu’en dehors.

De la même façon, vous pouvez vouloir partir du fait que le jeu semble inciter à commencer et à finir les séances par un combat, et vous demander si cela fait sens d’un point de vue ludique ou thématique. Selon votre réponse, vous aurez probablement envie soit de renforcer cet aspect (par une règle, des conseils, etc.), soit de trouver une façon d’ajouter plus de variété.

Et donc, tout ça, ça sert à quoi au final ?

Comme vous avez vu pu le constater dans les divers exemples, cet outil sert surtout à observer des phases de jeu avec une grille de lecture bien spécifique et à organiser les observations ainsi obtenues. Pour le dire le plus clairement possible, ce n’est pas cet outil qui fera les observations à votre place ni les analysera. Il vous aidera juste à vous y retrouver et à vous poser certaines questions souvent utiles.

Généralement, cette formalisation est surtout intéressante pour les deux usages suivants.

Tout d’abord, pour faire une synthèse de ces observations, généralement pour la transmettre à autrui de façon simple ou pour les analyser sans se perdre dans les détails. Cela permet par exemple de discuter à plusieurs d’éléments théoriques à partir de la formalisation d’un même exemple ou d’une même étude de cas en se concentrant sur l’essentiel. Il existe bien sûr d’autres façons de procéder, comme l’enregistrement ou le compte rendu de parties, mais elles sont généralement plus difficiles à mettre en œuvre.

Ensuite, pour montrer des évolutions entre plusieurs séries d’observations, par exemple pour vérifier que certains problèmes apparus lors des playtests sont corrigés ou pour mettre en place des feuilles de route ou de stratégie de modifications sur un projet donné. C’est sans doute l’application la plus importante pour nous, et c’est pour cela que l’on a surtout utilisé cette approche dans nos exemples.

Tant qu’à rester dans la logique de playtest, vous pouvez détailler cette histoire de modifications ?

Comme on l’a vu précédemment, il est assez simple d’utiliser la matrice pour obtenir une liste de points saillants concernant un prototype, et voir s’il se comporte comme attendu pour chacun d’entre eux. Logiquement, la prochaine étape est généralement de se demander quelles sont les modifications à lui apporter pour l’améliorer et, éventuellement, dans quel ordre.

Les différentes catégories représentées dans la matrice permettent de deviner assez facilement quoi faire. Bien sûr cette méthode n’est pas infaillible, notamment si vos intentions évoluent ou que vous n’avez qu’un temps limité, mais elle constitue un bon point de départ.

1) Commencez par parcourir tous les éléments qui sont considérés comme « non intentionnels » ou comme se produisant pour d’autres raisons que le design du jeu. Cela correspond aux catégories « accidentel », « coïncidence », « incité », « limité » et « spontané » de la matrice. Pour chacun d’entre eux, déterminez si vous voulez ne pas vous en occuper, les intégrer à votre jeu ou, au contraire, faire en sorte d’éviter qu’ils se produisent. Déterminez également si vous voulez le faire de façon systématique ou juste le suggérer en laissant les joueuses choisir.

Ensuite, déplacez :
+ les éléments que vous voulez intégrer de façon systématique dans la catégorie « manquant » ;
+ les éléments que vous voulez favoriser dans la catégorie « incité » ;
+ les éléments que vous ne voulez pas gérer dans la catégorie « coïncidence » ;
+ les éléments que vous voulez limiter dans la catégorie « accidentel » ;
+ les éléments que vous voulez empêcher de façon systématique dans la catégorie « infligé ».

2) Reprenez ensuite tous les éléments des catégories « manquant » et « infligé ». Ils représentent ce qui a de grandes chances de mal marcher dans votre jeu, que ce soit parce que ce dernier ne fait pas ce que vous souhaitiez ou parce qu’il fait ce que vous vouliez éviter. Modifiez le jeu de façon à motoriser les premiers et à empêcher les seconds. Le plus souvent, cela prend la forme de règles, de contraintes ou de procédures spécifiques et, pour ce point comme pour les suivants, le questionnement relatif aux types d’émergence peut être d’une aide précieuse. Dans notre exemple, cela reviendrait par exemple à refaire les règles de création de personnage afin qu’elles incitent à créer des PJ plus divers et qui tiennent mieux la route techniquement. Une fois que vous avez fini cette étape, vous ne devez idéalement plus avoir d’éléments « manquant » ou « infligé ».

3) Reprenez tous les éléments des catégories « incité » et « accidentel ». Ils correspondent à tout ce que vous voulez favoriser ou restreindre dans le cadre de votre jeu, mais sans le faire de façon systématique et en laissant la main au meneur et aux joueuses. Intégrez ces éléments avec des règles optionnelles, des conseils ou des mises en garde, des exemples, des illustrations, etc. Dans notre exemple, il serait ainsi sans doute possible de suggérer de toujours commencer et finir par un combat en s’assurant que tous les scénarios fournis ou presque soient structurés de la sorte.

4) Vérifiez que vous n’avez pas de modification à faire sur les éléments qui étaient déjà motorisés ou empêchés. Comme on l’a vu, qu’ils se trouvent déjà dans ces catégories ne veut pas dire qu’il n’y a aucune amélioration possible, même s’il est probable que ces dernières soient plus de l’ordre du réglage et entraînent des modifications moins importantes. Veillez également à la façon dont toutes ces modifications s’intègrent, afin d’éviter qu’elles ne rajoutent de nouveaux problèmes.

Au final, vous ne devriez plus avoir que les éléments suivants sur la matrice.

     IntentionnelNon IntentionnelContraire aux Intentions
Se produit « by design »Motorisé
Se produit pour d’autres raisonsIncitéCoïncidenceAccidentel
Ne se produit pasEmpêché

Et pour aller plus loin ?

Même si on a essayé de résumer, on a vu pas mal de choses dans ce billet.

Cependant, il existe encore d’autres applications de cet outil. Comme on l’a beaucoup dit, on l’a présenté ici avec l’angle du playtest. Dans ce cadre, les intentions sont celles de l’auteur du prototype. Mais rien n’empêche par exemple d’analyser ses techniques de meneur plutôt qu’un jeu, ou de faire la critique de l’un d’entre eux en observant sa capacité à répondre à nos attentes. Le fonctionnement reste le même. De la même façon, de nombreuses possibilités s’offrent à vous en détaillant davantage ce que l’on entend par « se produit pour d’autres raisons » et en rajoutant une ligne pour chacun des facteurs que vous souhaitez réellement analyser au-delà de la conception du jeu. Ainsi, on peut tout aussi bien étudier l’impact d’un scénario, du fait de jouer en ligne (voire différentes façons de le faire), le style d’un meneur, etc.

Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas à vous approprier cet outil pour qu’il réponde exactement à ce dont vous avez besoin.

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