Cats !

Cats! est un jeu sorti à la fin de l’année 2010 aux éditions Icare et dont la gamme s’est étoffée d’un écran, d’un scénario et d’un supplément au printemps dernier. À part ce que vous savez déjà, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un jeu où on incarne des matous, je ne pourrai malheureusement pas vous dire grand-chose de plus le concernant. En effet, malgré les multiples occasions qui se sont présentées, je n’ai jamais joué à Cats! et je n’y jouerai probablement jamais. Je sais que cela a l’air ridicule et que ce n’est pas la meilleure des façons d’introduire un 5 trucs, mais j’ai juste bien trop peur de ces satanés bestioles. Non, vraiment, vraiment, peur. Par contre, j’ai suffisamment vu de joueurs en sortir ravis en convention, ou voir tout l’amphi d’Éclipse feuler à l’évocation du jeu pour vous encourager à vous renseigner dessus et à ne pas vous limiter à la méconnaissance d’un pauvre élurophobe.

Lui aussi fier d’avoir été « formé » à la CJDRA, Vincent Mathieu, l’auteur du jeu , est quelqu’un que vous avez déjà dû croiser si vous êtes un habitué du circuit des conventions. Originaire de Lorraine, il fait partie de ces quelques « routards » que l’on rencontre presque plus facilement à Marseille, à Provins ou en Bretagne que par chez lui. En tout cas, pour avoir eu l’occasion de maintes fois discuter avec lui, c’est quelqu’un qui a de nombreuses réflexions très intéressantes sur le jeu de rôle, et notamment sur comment concilier une des aspects les plus chronophages de notre passion, l’écriture, avec le « vrai » boulot. Celui qui fait vivre la famille. Quoi qu’il en soit, en attendant D-Day, son prochain jeu, il vient partager ses propres expériences, et ce qu’il a pu apprendre en travaillant sur Cats!

Profitez-en, vous n’êtes pas prêts de revoir une image de chat sur Tartofrez ?

Pour plus de détails sur Cats ! : http://www.legrog.org/jeux/cats
Pour la biographie de Vincent : http://www.legrog.org/biographies/vincent-tlon-uqbar-mathieu

 

1 – Le jeu

 

Créer un jeu de rôle, ça peut sembler facile, mais c’est surtout chronophage et ardu. Il est facile de se perdre dans les détails et de passer à côté de l’essentiel. C’est pourquoi savoir exactement vers quoi s’oriente le jeu, cela aide grandement son concepteur. En ce qui concerne Cats!, j’ai eu la chance d’aller à bonne école grâce à la CJDRA (Convention des Jeux De Rôle Amateurs). Dans cette convention (malheureusement) disparue, les auteurs de jeux de rôle non publiés devaient se prêter à une séance bien particulière. Ils disposaient de deux minutes et trente secondes maximum pour présenter leur création face à un amphithéâtre bondé de rôlistes désireux de jouer. Ça n’a l’air de rien, mais c’est énorme. Il vous faut convaincre les joueurs potentiels en peu de temps de jouer à votre jeu plutôt qu’à ceux de vos petits camarades. La première fois que j’ai participé à la CJDRA, je me suis trouvé ridicule, voire un peu plus que cela. Les autres créateurs de jeux avaient une présentation d’enfer, alors que je ne pouvais dire que : « C’est un jeu de rôle où l’on interprète des chats… ». J’ai eu droit à des joueurs désireux d’en savoir plus, ce qui a fait que mon ego n’en a pas trop souffert. Mais, fort de cette expérience du (quasi) fiasco concernant ma présentation du jeu, je me suis mis à travailler dessus. Et ce fut l’épiphanie ! En mettant à jour les arguments, les points forts et les éléments ludiques intéressants à présenter, j’ai pu recentrer le jeu sur certains points précis, utiliser des éléments ludiques qui collaient plus à l’univers de jeu, etc. Bref, j’étais en train de peaufiner et développer une esquisse de jeu en un vrai jeu, avec une thématique propre.

Un simple exemple pour illustrer mon cas : dans les premières versions du jeu, les chats pouvaient utiliser un pouvoir de pyrokinésie. Je ne m’en cache pas, c’est une résurgence de la classique « boule de feu » à la D&D. Mais, si ça peut être amusant, ça ne colle absolument pas aux chats et à leur univers. En revanche, en remplaçant la pyrokinésie par une capacité allergène, c’est tout aussi amusant et cela colle beaucoup mieux à l’univers de jeu de Cats!. Vous faites un jeu de rôle sur les chats, centrez-le sur les chats, à tous les niveaux. Bref, pensez aux points forts de votre jeu et adaptez-les pour les rendre ludiques. Vous y gagnerez forcément.

 

2 – Tout essayer, quitte à se planter.

 

Fort du point ci-dessus, il vous viendra certainement des idées novatrices qui donneront une touche bien particulière à votre jeu, le démarquant notablement des autres. C’est le but. Mais une idée a priori géniale peut s’avérer être une véritable plaie qui va pourrir votre jeu. C’est pourquoi il vous faut tout essayer pour confronter ces idées à la réalité. Quelquefois, il en ressortira un élément ludique capital pour votre jeu, et ce sera du bonheur en barre pour son créateur. D’autres fois, et généralement le plus souvent, ces tests mettront en lumière un imprévu ou un vice de forme qui vous fera dire que c’est une fausse bonne idée, et qu’elle mérite soit de retourner dans les limbes, soit de recommencer tout depuis le début. C’est pour cela que créer un jeu de rôle est long, pénible et ardu. Il vous faut sans cesse penser, mettre en forme, tester et recommencer.

Voici un exemple assez parlant concernant Cats!. À un moment, il m’est venu l’idée de gérer des points de chance non plus avec de simples jetons, mais avec des… croquettes pour chats ! Je jubile. On n’a rien fait de mieux pour immerger le joueur dans un univers félin. Et me voici avec mes dés et un petit sac de croquettes pour tester une partie à la CJDRA. Premier essai et… tout de suite, je vois bien que ça ne le fait pas. Parce si l’idée semblait sympa, la pratique me rappelle rapidement à la réalité. À force de manipuler les croquettes pour chats en cours de partie, mes mains ainsi que celles des joueurs embaumaient l’odeur du poisson aux petits légumes. En fin de partie, ma première action a été de me précipiter aux toilettes pour me laver les mains, poursuivi par deux matous qui trouvaient mon parfum réellement intéressant. Inutile de vous préciser que les croquettes n’ont pas fait long feu.

 

3 – Les textes

 

Un jeu de rôle est fondamentalement un texte qui décrit un univers de jeu et les mécanismes ludiques qui seront utilisés. On peut aussi y trouver des éléments qui aident à plonger dans le jeu, comme des scénarios, des esquisses de scénarios ou une campagne. Le visuel est important, mais ce n’est pas l’essentiel. Un jeu de rôle uniquement composé de textes est fonctionnel. Je doute qu’il puisse l’être avec uniquement des illustrations. L’important, dans un jeu de rôle, c’est le texte. Et il convient donc de particulièrement le soigner. Tout d’abord, les informations que vous voulez passer au lecteur doivent être claires, compréhensibles et surtout ne pas prêter à confusion. Autre point à surveiller : la relecture et la correction des fautes de frappe, d’orthographe ou de grammaire. En bon néophyte de l’édition à l’époque, je me suis dit qu’un simple traitement de texte de base ferait l’affaire pour écrire un jeu de rôle. Monumentale erreur ! Le problème vient de vous et de votre cerveau. Vous connaissez forcément les phrases de votre texte, puisque vous les avez imaginées dans votre tête avant de les taper sur votre ordinateur. À force de vous relire, votre cerveau les connaît par cœur. Et c’est bien là le problème. À force de se simplifier le travail à chaque lecture, il corrigera automatiquement dans votre tête les mots manquants, etc. Et sans le savoir, vous laisserez passer des coquilles énormes. Deux choses peuvent vous aider pour corriger cela.

Premièrement (et comme dit auparavant), il vous faut un nombre conséquent de relecteurs venant d’horizons différents. Les vieux briscards seront plus sensibles à des points de règles techniques, tandis que les néophytes seront plus attentifs à la compréhension générale. Mais tous pourront dénicher des erreurs d’orthographe ou de grammaire que vous auriez laissé passer de prime abord.

Secundo, un logiciel correcteur orthographique digne de ce nom sera votre second atout. Personnellement, j’ai opté pour Antidote, mais (malheureusement) trop tard. Passer d’un correcteur orthographique de base à un de niveau professionnel, c’est un peu comme passer d’une Twingo à une Bentley. Petit truc en passant : Avant de relire une Xième fois votre texte, changez la police de caractère par des lettres ignobles (genre Police Halloween Jason) et commencez votre lecture. Ça pique les yeux, mais ça chamboule les habitudes  et vous permet de repérer les erreurs plus facilement.

Dites-vous surtout qu’à moins d’être un génie de la langue française, vous n’arriverez jamais à fournir plus de 200 pages sans aucune erreur. Mais vous parviendrez à les limiter (drastiquement ?) grâce à cette expérience partagée.

 

4 – Les limites

 

Éditer un jeu de rôle, c’est se fixer des limites. Et c’est rudement difficile comme exercice. Votre jeu, vos textes, représentent un certain nombre de mots, de phrases, de paragraphes et de chapitres (sans compter les futures illustrations). Que vous passiez par un éditeur ou décidiez de vous éditer vous-même, la dure loi de l’imprimerie vient vous rappeler durement à l’ordre (à moins de publier un fichier PDF, mais j’y reviendrai un peu plus loin). L’imprimeur vous fait un bouquin à un certain format, pour un nombre précis de pages, et le tout pour un prix donné. Il va falloir trouver le bon format pour y caser l’essentiel du texte, et si possible avec une police lisible par le commun des mortels. Et le tout en adéquation avec votre budget, ou celui de l’éditeur.

En général, on a toujours plus de signes que ce que peut contenir le média. Et d’un seul coup, l’auteur de jeu de rôle se transforme en monteur de cinéma, à retravailler ses textes pour garder la même clarté et le même degré de compréhension tout en réduisant son signage pour faire rentrer le tout dans le format choisi. Lorsqu’il devient évident qu’il faut faire des coupes dans le texte, c’est la douche froide ! Votre « œuvre » est définitivement altérée, défigurée, dénuée de son sens premier… Et c’est la déprime.

Alors, soyons clairs : vous ne pourrez jamais TOUT publier en un seul coup (à moins de faire un burst, mais c’est relativement nouveau dans le monde du jeu de rôle). Cela dit, il faut relativiser. Ce n’est pas parce que votre livre de jeu publié ne contient pas le chapitre des traditions chamaniques millénaires des Elfes noirs de la forêt des Murmures que votre jeu est foutu. Vous aurez toujours la possibilité de publier des extensions (si votre jeu se vend bien) ou bien de les diffuser sous d’autres formats à destination de vos joueurs potentiels. Bref, adaptez votre jeu au média sur lequel il va paraître. Ce n’est pas de la trahison, c’est de la concession. De même, équilibrez vos chapitres. Votre jeu n’a peut-être pas besoin d’avoir un tiers du bouquin qui décrit tout l’armement possible et inimaginable du haut Moyen Âge.

Concernant Cats!, l’éditeur m’a tout de suite mis au parfum. Si j’étais d’accord pour publier le jeu, je devais le faire tenir dans 200 pages recto verso au format royal. Pour les néophytes, et surtout parce que je l’ignorais moi-même à l’époque, le format royal correspond à une surface de 16 x 24 cm, un peu plus grand qu’une demi-feuille de papier A4. Pour situer la chose, un livre de poche fait 11 x 18 cm et une feuille de papier A4 21 x 29,7 cm. Le format royal fait donc « petit » face au traditionnel A4 européen. Ce n’était pas un problème en ce qui me concerne, puisque j’ai toujours considéré Cats! comme un « petit » jeu. Ce format me semblait donc approprié.

En revanche, lorsque j’ai commencé à plaquer mes textes sur ce format, je me suis vite arraché les cheveux. Votre traitement de texte habituel vous met votre texte en page sur du format A4 par défaut. Lorsque vous basculez sur un autre format inhabituel, le visuel change complètement. La police de caractère qui convenait parfaitement auparavant n’est plus du tout adaptée, vos chapitres harmonieusement construits sont tout à coup déformés, etc. Un sentiment de lassitude venait de tomber d’un coup sur mes épaules, car j’avais l’impression de devoir refaire ce que j’avais déjà fait auparavant. Mon erreur avait été de « penser » mon jeu sur un format traditionnel A4 en le rédigeant avant de discuter avec l’éditeur. Pour bien faire, j’aurais juste dû faire de la frappe au kilomètre en me concentrant simplement sur le texte lui-même (cf. le point 3) et laisser la mise en page à l’infographe.

Juste une petite chose concernant les médias électroniques : vous pouvez bien évidemment tout faire vous-même (infographie, mise en page, illustrations et production d’un PDF), mais si vous faites un simple ersatz d’un livre papier qui s’affiche sur un écran, vous passez à côté de quelque chose. L’intérêt essentiel d’un livre électronique, c’est l’indexation et la recherche. Vous vous souvenez comment vous galériez en recherchant une information dans l’horrible et agaçant DMG d’AD&D ? Et bien l’électronique est faite pour bannir cela. Un PDF digne de ce nom est fourni avec un sommaire et un index qui permettent d’aller directement d’un clic de souris ou d’une tape sur un écran tactile à la page que vous recherchez. Mais le revers de la médaille, c’est qu’il vous faut faire ce sommaire et cette indexation. C’est plus de boulot, mais l’utilisateur verra clairement la différence.

 

5 – Les éditeurs (vs. moi-même)

 

Dans la série des questions métaphysiques que se pose un jour ou l’autre un auteur de jeu, il y a le classique : « Dois-je passer par un éditeur pour publier mon jeu ou puis-je le faire moi-même ? ». Derrière cela, il y a votre emprise sur votre création. Certains vous diront que si vous faites tout vous-même, ce sera toujours votre œuvre, alors que céder une partie de ces droits à un éditeur revient de facto à la dénaturer. Personnellement, et comme dit précédemment, ce n’est pas parce que vous publiez votre œuvre que vous ne serez pas amené à faire vos propres concessions, ne serait-ce qu’à cause de votre budget par exemple. Par expérience, je vous conseillerais de privilégier l’éditeur par rapport à l’auto-édition, et ce pour ce qui me semble être plusieurs points positifs.

Tout d’abord, un éditeur de jeu de rôle est censé pouvoir donner un avis éclairé sur votre création, ce qui ne fait pas de mal pour le coup. Il peut très bien décider de ne pas le publier, car votre jeu ne correspond pas à ses critères d’édition, tout en vous donnant des indications ou des critiques constructives sur votre jeu. Ça fait toujours un avis de professionnel sur votre jeu, et c’est déjà ça de pris. Cela dit, ciblez tout de même les éditeurs auxquels vous soumettrez votre jeu. Il paraît assez logique d’essuyer un refus lorsque vous proposez Mon petit poney RPG à un éditeur spécialisé dans le jeu de rôle post-apocalyptique ou centré sur les zombies ou les aliens assoiffés de sang.

Ensuite, l’intérêt évident de l’éditeur, c’est le temps. Personnellement, je n’ai déjà pas assez de temps pour écrire un jeu de rôle. Je le prends sur mon temps libre qui est, comme chacun, réduit par rapport au travail. Et tout ça sans compter sur le temps que je réserve (et que je tiens à réserver) à ma petite famille. S’il me faut en plus gérer l’impression, la diffusion auprès des boutiques spécialisées, les envois et les retours en direct, la comptabilité et tutti quanti, autant ne rien publier. En revanche, je préfère laisser ces tâches à mon éditeur pendant que je me concentre sur ce qui me semble le plus important : l’écriture dudit jeu. Ce temps gagné que me permet un éditeur, c’est du temps en plus pour mon jeu.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des points positifs énoncés, un éditeur vous offre aussi de l’aide pour tous les éléments que vous ne maîtrisez ou ne connaissez pas, tels que l’infographie, les illustrations, l’impression, etc. Il vous met en relation avec des professionnels qui connaissent leur métier et vous permettent d’étoffer votre jeu autour de l’ossature de vos textes. J’admire les auteurs qui réussissent à tout faire par eux-mêmes, mais ils sont loin d’être légion. Il faut du temps pour apprendre à manier correctement un logiciel d’infographie avant de pouvoir sortir une maquette concrète. Un éditeur est là pour vous mettre en relation avec des personnes qui ont une haute valeur ajoutée sur votre projet de publier un jeu de rôle.

Toujours par mon expérience personnelle avec Cats!, je m’essayais à l’infographie avec Scribus, un logiciel libre d’infographie, avant de rencontrer mon futur éditeur sur un salon de jeu parisien. Je faisais des progrès, mais à vitesse d’escargot. Je voyais bien que j’avais du mal à maîtriser pleinement l’outil, parasité par des années d’utilisation « classique » du traitement de texte informatique. Lorsque j’ai commencé à parler de la future maquette du livre de jeu à l’éditeur, j’avais une idée assez précise de ce que je voulais faire, mais j’ai dû lui avouer ma quasi-incapacité à produire un résultat tangible avec mes outils et mes connaissances du moment. Et là, l’éditeur me sort la phrase magique : « Ah mais il n’y a aucun problème. Je te mets en contact avec Julien qui va réaliser la maquette du livre. Vous voyez cela ensemble et tu me dis si cela te convient ». Et moins de deux semaines plus tard, Julien m’envoyait un prototype de maquette réalisé via InDesign que j’aurais mis plus de six mois à sortir avec Scribus.

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