Après tout, c’est pour ça qu’on les aime…

Cet article, sur les défauts et autres désavantages des PJ, est initialement paru dans la rubrique MJ Only du Casus Belli de septembre 2010.

Ce mois-ci, la rubrique PJ only donne des conseils aux joueurs sur le choix des faiblesses, limites et autres handicaps de leurs personnages. Ils veulent des points ? Très bien ! À vous de faire de leur vie un enfer … et de vous assurer qu’ils adorent ça.

Le traitement dramatique

 

On a coutume de dire qu’il n’existe que deux types de personnages : les iconiques, qui restent tout le temps les mêmes, voire dont l’objectif est de finir le scénario comme ils l’ont commencé, et les dramatiques, qui apprennent de leurs erreurs, luttent contre leurs démons intérieurs et en sortent grandis ou broyés. Ainsi, Superman ou James Bond seraient des héros iconiques, là où Luke Skywalker et Frodon feraient partie de la seconde catégorie. Dans les faits, il s’agit avant tout d’une question de traitement, et une tendance lourde du cinéma actuel est justement de redécouvrir les personnages iconiques de façon dramatique. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le James Bond de Daniel Craig à celui de ses prédécesseurs ou le Batman de la série des années 60 avec celui de Dark Knight. Toute proportion gardée, c’est aussi ce que proposait déjà en son temps la campagne Dragonlance.

En tant que meneur, choisir d’aborder les personnages de vos joueurs de façon dramatique ne signifie pas qu’ils ont moins de chance de réussir la campagne que d’habitude. Cela veut avant tout dire que vous allez donner une  importance réelle aux défauts et faiblesses des personnages, non pas pour humilier ou embêter ceux qui les jouent, mais, au contraire, pour faire en sorte qu’ils ne s’amusent que davantage à les dépasser. Autrement dit, plutôt que reléguer ces handicaps techniques en simples réservoir de points de création avant de finalement les oublier, vous allez les mettre sur le devant de la scène pour proposer des défis et des retournements de situation correspondant exactement aux personnages.

Ainsi, par exemple, Han Solo est un contrebandier dont les qualités sont connues de tous mais il est également doté d’au moins une faiblesse qui le caractérise tout autant : ses dettes. Elles sont mentionnées dans sa scène  d’introduction lorsqu’il abat Greedo et le motivent à se joindre à l’aventure. Ensuite, ce sont elles qui amènent au moins en partie de nombreuses scènes : celles de la cité des nuages (dont le fameux « Luke, je suis ton père ! »), chez Jabba, les apparitions de Bobba Fett, etc. Aucune de ces scènes ne semble être là pour rabaisser le personnage ou le présenter sous un jour ridicule. Au contraire, toutes permettent de le mettre en avant, lui ou un de ses compagnons.

C’est exactement l’objectif de cette façon de faire : transformer des désavantages a priori négatifs pour les personnages en scènes parfois dures, mais intenses et/ou hautes en couleurs. Et donc, en bons moments pour les joueurs.

 

Le choix des défauts

 

La première chose à faire est d’aider vos joueurs à choisir des défauts pour leurs alter egos, et ce même si le jeu n’en prévoit pas normalement. A moins que vous soyez particulièrement chanceux, ils sont probablement plus habitués à les choisir dans une logique avant tout comptable, ou parce que cela cadre avec un éventuel background qu’ils ont écrit, que parce qu’ils correspondent aux scènes qu’ils ont envie de jouer et aux conflits qu’ils veulent que leurs personnages affrontent.

C’est donc à vous de leur expliquer que tous les défauts qu’ils prendront auront un impact réel en jeu et que vous comptez bien vous en servir. Ne mentez, pas, servez-vous en, quitte à proposer des scènes ou rajouter des pnj uniquement dans cet objectif. De même, expliquez leur que quelle que soit la faiblesse qu’ils marqueront sur leur feuille, cela revient à vous demander de vous en servir. Ils doivent comprendre qu’ils vous donnent le bâton pour battre leurs personnages en vous disant non seulement « fais-moi mal » mais aussi où taper. Faites donc en sorte qu’ils en choisissent peu, mais ceux qu’ils ont vraiment envie de jouer. Enfin, expliquez leur aussi en quoi, au-delà des points qu’ils rapportent, ces désavantages pour les personnages deviennent du coup des opportunités pour eux, les joueurs. Cela peut sembler paradoxal, mais les choisir, c’est décider d’éléments que vous devrez mêler à votre la campagne. De la même façon que si un de vos joueurs de Shadowrun joue un technomancien, vous allez incorporer des éléments liés à la matrice, si l’un d’entre eux est pourchassé par une tribu d’américains d’origine, non seulement vous ferez de même avec la question indienne, mais vous lui proposerez des scènes importantes liées à cette thématique. Si vous jouez le jeu, prendre des désavantages, c’est orienter partiellement la direction de la campagne.

 

Les arcs de personnages ou trames personnelles

 

Maintenant que vous avez fait cela, vous devriez savoir ce que vos joueurs veulent jouer. D’autant plus si vous avez procédé à une création collective, comme conseillé dans notre numéro précédent. Il ne vous reste plus qu’à leur faire une histoire taillée sur mesure. L’objectif est d’avoir votre scénario ou campagne de base, et d’écrire un arc ou une trame personnelle pour chacun des pj. Dans l’absolu, cette dernière doit être conçue pour devenir rapidement indissociable de la trame générale et de telle façon que le personnage doive la mener à son terme pour évoluer et être à même d’arriver enfin au dénouement de la campagne globale.

Le fait de cumuler les deux permet aux pj de se retrouver moins facilement bloqués (si cela n’avance pas d’un côté, ils peuvent creuser de l’autre), et surtout assure à tous qu’ils sont directement concernés et là pour faire tout sauf de la figuration. Pour construire un tel arc, la mécanique est relativement simple. Elle part du principe que le personnage au début de la campagne n’est pas le même qu’à la fin de la campagne. Quelque chose aura changé en lui et ce changement lui permettra d’atteindre ses objectifs. Il n’est pas question ici de puissance ou de niveau, mais bien de quelque chose de plus profond. D’une certaine façon il aura réussi à dominer sa bête intérieure.

C’est là que les désavantages entrent en jeu. Puisqu’en les choisissant vos joueurs vous ont dit qu’ils souhaitaient qu’une partie des aventures de leurs personnages tourne autour d’eux, faites-en le coeur même de leur évolution. Décidez que la trame que vous allez écrire pour chacun d’entre eux est la suite des événements qui vont l’aider à résoudre sa propre faiblesse. Peu importe que cela se fasse en devenant meilleur ou plus fort, en prenant confiance en soi, en découvrant qu’il ne s’agit pas d’un vrai problème, en apprenant un secret, en affrontant sa peur, etc. Pour le reste, il ne s’agit ni plus ni moins que d’écrire les grandes lignes d’un scénario comme vous le faîtes régulièrement. Cependant la tâche est plus aisée. Vous n’avez pas besoin d’énormément le détailler et en connaissez déjà le point de départ (le personnage et son problème) et d’arrivée (le personnage sans son problème). Le plus facile est sans doute ensuite d’y rajouter une structure en trois actes classiques :

1) Une première partie où il ressent l’influence de sa faiblesse de façon régulière ;
2) Une seconde où il commence à la maîtriser et à ne plus être trop gêné, jusqu’à ce qu’il fasse une erreur qui le mette dans une situation impossible ;
3) Une troisième partie consacrée à la façon dont il remonte la pente.

Si on reprend l’exemple de Han Solo, imaginez un meneur qui souhaite raconter une vague histoire de chevalier noir et de princesse dans l’espace et un joueur qui lui propose non seulement un personnage qui ne cadre que  partiellement, mais dont le principal problème soit des dettes dues à un parrain de la pègre. Sur le papier, cela ne part pas très bien. Pourtant, en décidant que c’est à cause de cela qu’il se joindra au groupe, que la pression se fera par des chasseurs de prime (dont une Némésis), la situation inextricable par la trahison d’un ami, et la résolution du problème par la mort du créancier, le meneur de jeu arrive à rendre passionnant ce qui ne cadrait guère initialement.

En utilisant ces quelques astuces, vous n’aurez plus de problème pour faire des désavantages de vos pj un élément scénaristique de premier plan. Par contre, gardez bien à l’esprit que tout ce que vous leur mettrez dans les roues ne se justifie que s’il accroît à terme leur plaisir de jeu. La difficulté peut être un élément d’ambiance et de plaisir ludique, gage de défis et enjeux. Le sadisme jamais.

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