Inflorenza

L’enfer forestier de Millevaux a d’abord été développé pour une version maison de L’Appel de Cthulhu, puis, en 2013, comme un supplément pour Sombre.  Depuis le printemps 2014, il est désormais possible de l’arpenter via un système de règles spécifique, celles d’Inflorenza, avant que d’autres jeux ne viennent proposer des orientations complémentaires dans les mois ou années à venir.  Autre habitué des conventions bretonnes, son auteur, Thomas Munier, est un de ces rôlistes passionnés dont la ferveur et l’engagement forcent le respect. Indépendant jusqu’au bout des ongles, il pousse à son extrême la logique quasi-punk du Do-it-yourself, allant jusqu’à proposer de relier lui-même ses livres avec force fil de fer et fleurs séchées. Aussi surprenant que cela soit de prime abord, pour un jeu tel qu’Inflorenza, cela devient vite une évidence une fois le livre entre le mains. Dans tous les cas, Thomas vient nous présenter les 5 trucs qu’il a appris en travaillant sur le jeu.

Pour découvrir Inflorenza : http://www.legrog.org/jeux/inflorenza/inflorenza-fr
Pour lire la biographie de Thomas : http://www.legrog.org/biographies/thomas-pikathulhu-munier
Pour découvrir le site de Thomas (blog, podcasts, jeux, etc.) : http://outsider.rolepod.net/
Pour une table ronde sur la créativité à laquelle nous avons participé : https://goo.gl/bCy86m

 

0 – Introduction

 

Dans Inflorenza, on incarne des héros, des salauds et des martyrs dans l’enfer forestier de Millevaux. C’est au sujet de ce jeu que je vais donner 5 trucs qui me paraissent utiles.

À part le premier, ce sont des trucs concernant les finitions. Mais ce n’est pas une ode au perfectionnisme. Si vous commencez la création de votre jeu, je vous invite à ne pas tenir compte des 4 derniers trucs. Au départ, si on se met la barre trop haut, on se coupe le courage de sauter. Quand vous vous sentirez prêt, alors vous pourrez élever la barre et tenir compte de ces trucs. C’est généralement possible quand on est proche d’avoir terminé. Voire quand on a terminé depuis quelque temps, et qu’on voudrait bien remettre son fer à l’ouvrage pour livrer une création plus aboutie encore !

1 – Allez chercher l’expérience là où elle se trouve :

 

Inflorenza est le premier jeu de rôle que j’ai écrit. J’avais déjà écrit un supplément et des scénarios, mais jamais un jeu de rôle entier. C’est une autre paire de manches. J’ai attendu longtemps parce que je ne me sentais pas capable de sauter le pas. Je ne pensais pas avoir assez d’expérience. Mais si l’expérience nécessaire pour écrire un jeu de rôle, c’était d’en avoir déjà écrit un, personne n’écrirait de jeu de rôle. À un moment, il faut se lancer. Faire l’inventaire de ses ressources et constater que c’est pas si mal.

Plein de choses permettent d’apprendre à écrire un jeu de rôle, et on en fait certaines déjà bien avant d’avoir un projet d’écriture :

– lire et jouer à d’autres jeux, tout simplement. En concevant Inflorenza, j’avais en tête certains de mes jeux préférés (Vampire la Mascarade, Les Secrets de la Septième Mer, Prosopopée…) et aussi des jeux que je n’aimais pas. La rédaction, les mécaniques, l’univers, les illustrations de ces jeux de référence ont constitué mon premier matériau ;
– les forums. Antonio Bay, Casus No, Les Ateliers Imaginaires, La Cour d’Obéron, le SDEN, Opale Rôliste, Terres Etranges… On y trouve des listes au Père Noël du jeu de rôle et des réponses à ces listes, des comptes-rendus de partie et des critiques de jeux, des discussions game design et des anecdotes débiles. Les forums sont une mine d’or. Surtout les fils qui ne prétendent pas traiter de game design ;
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les articles de théorie rôliste. Tartofrez, Du bruit derrière le paravent, Limbic Systems, Les bons remèdes, Lors de ces après-midi en Utopie… On peut être d’accord ou non avec eux, mais c’est reposant que certains se grillent des neurones à votre place sur des questions de game design. Pour élargir vos vues, vous pouvez aussi faire un tour sur les blogs de game design des grands frères, jeu de société et jeu vidéo ;
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surtout, ne sous-estimez pas votre propre expérience. Quand on se décide à écrire un jeu, on a souvent des années de pratique rôliste derrière soi (ou au moins une expérience du jeu de société). C’est une véritable banque de données. Dans votre jeu, vous allez essayer de reproduire des moments qui ont marqué votre mémoire, ou de pallier à certaines frustrations que vous avez pu rencontrer par le passé. Par exemple, j’ai souvent été frustré quand le MJ n’arrivait pas à exploiter les historiques des personnages, et donc j’ai cherché des règles pour que ça soit facilité. En ce qui me concerne, j’écris les jeux auxquels je voudrais jouer. Ce n’est pas la seule façon d’écrire un jeu, mais c’est celle qui me convient. Et dans cette optique, il est primordial de réutiliser sa propre expérience.

 

Partant de là, je n’ai qu’un regret : ne pas avoir commencé plus tôt. J’ai imaginé l’univers de Millevaux en 2006, j’ai joué dedans avec les règles de L’Appel de Cthulhu jusqu’en 2009 (ce qui m’a obligé à les customiser à mort), puis celles de Sombre. J’ai attendu 2013 pour imaginer mes propres règles alors que j’aurais pu en concevoir dès le départ. Pas que je sois insatisfait des règles des autres. Mais voilà, si j’ai un conseil à donner à quelqu’un qui a un univers, c’est : vas-y, invente des règles qui sont faites pour ton univers, n’attends pas, t’es capable. Si les règles t’ennuient, invente des règles légères. Mais réfléchis à deux fois avant de tenter une bouture avec les règles d’un autre jeu, parce que ça te demandera au moins autant de travail, sans garantie du résultat.

 

2 – Si vous playtestez beaucoup, alors vous ne playtestez pas assez

 

J’ai travaillé avec Johan Scipion, je tiens de lui la culture du playtest. Mais lui, il playteste vraiment à mort. Cet homme est une machine. Pour développer Inflorenza, j’ai fait beaucoup de playtests, mais beaucoup moins que lui quand même. Je m’étais donné un à deux ans pour écrire le jeu. J’ai fait des playtests avec des copains, et pas mal de playtests aussi en convention et en association. C’est pas forcément cool pour les joueurs en convention de devoir se taper un jeu pas fini, d’autant plus qu’il y a eu quelques parties vraiment ratées, mais pour un auteur, le public de convention est très utile. J’ai toujours eu à mes tables des gens qui étaient intéressés par l’univers de jeu, mais quand même, lors de la restitution ils disent vraiment quand ils ont trouvé des problèmes, là où les copains sont parfois trop consensuels.

Les conventions et associations sont aussi une bonne école pour présenter son jeu. Des fois, on se prend un four, et ça nous apprend quelque chose.

Au début, les règles connaissaient une révolution presque à chaque test, mais au bout d’un moment, ça s’est lissé. J’ai finalisé l’écriture du jeu au bout d’une trentaine de parties. Ça ne paraît pas forcément énorme, mais derrière, j’avais 6 ans de parties dans le même univers, et notamment deux campagnes dans le même esprit « horreur épique » qu’Inflorenza. Donc je me suis dit que cela suffisait.

Les playtests ont permis d’aboutir à un jeu que je trouve robuste, avec une bonne durée de vie (personnellement, je suis prêt à refaire le double de parties juste pour le fun).

Mais n’empêche. Le jeu est proposé en deux modes, Carte Rouge (les joueurs contrôlent le décor et les figurants à tour de rôle) et Carte Blanche (les joueurs ne contrôlent que leur personnage, le MJ contrôle le décor et les figurants). Ehbien je n’ai testé le mode Carte Blanche qu’une fois. Je suis parti du principe que c’était suffisant, parce que les jeux avec MJ, je connaissais, je n’ai fait que ça pendant vingt ans. Avec le recul, j’aurais dû prendre plus de temps pour tester en Carte Blanche. J’ai dû faire une dizaine de parties en Carte Blanche depuis la sortie du jeu, et si je suis content de comment ça tourne, j’ai maintenant plein d’idées de conseils pour ce mode. Idées qui, forcément, ne sont pas dans le bouquin. Les comptes rendus de parties sont disponibles sur le forum, mais ça ne profitera pas à ceux qui se limitent au livre.

Tout ça pour dire qu’Inflorenza aurait été meilleur avec une vingtaine de parties playtests de plus. Je vais compenser ça en sortant une deuxième édition, qui s’articulera autour d’une version allégée développée autour du 50e playtest, Inflorenza a capella, qui ne nécessite pas de matériel, ni dés, ni feuille, ni crayon. Beaucoup de règles (notamment celles impliquant feuilles, dés, crayons) seront vues comme des modules à brancher sur cette version. Cette nouvelle édition sera disponible en téléchargement libre, donc le lecteur de la première édition ne sera pas lésé.

C’est impossible de juger à partir de combien de parties-tests un jeu est prêt. Mais je crois qu’on devrait toujours faire juste un peu plus de parties-tests que ce que l’on croit nécessaire. Ne pas se précipiter pour sortir un livre alors qu’on est toujours dans le bain du playtest, que les idées continuent à affluer.

 

3 – Évitez les règles qui ne font pas l’unanimité chez votre public cible

 

Un autre problème avait émergé en playtest : celui des thèmes. Le jeu comporte une mécanique de contrainte créative autour des thèmes. Il y a une liste de 12 thèmes qui composent l’univers d’Inflorenza : la nature, la folie, la chair… À diverses occasions, un personnage peut gagner une phrase à rajouter à son historique. Ça peut être une phrase neutre, une phrase de puissance ou une phrase de souffrance. Et à chaque fois, on devait tirer un thème au hasard pour la phrase.

Exemple : Imaginons un personnage, Madrigal, qui se fait mordre par un vampire. Madrigal écope d’une phrase de souffrance en Nature. Le joueur de Madrigal peut dire qu’une rose pousse à l’endroit de la morsure, ou qu’il se transforme en vampire sauvage, qui peut prendre des formes animales.

Lors des playtests, plusieurs personnes ont trouvé que la contrainte créative nuisait à leur immersion. S’ils jouaient Madrigal, ils trouvaient plus logique de pouvoir écrire ce qu’ils voulaient pour leur phrase de souffrance. Ça les sortait du jeu s’ils devaient à tout prix écrire une souffrance en Nature sous prétexte que le dé avait décidé de ce thème. Le problème, c’est que d’autres joueurs aimaient beaucoup cette contrainte créative. Mais les deux profils faisaient partie de mon public : ils aimaient tous les deux l’univers de Millevaux et voulaient pouvoir jouer dedans en mode horreur épique. C’est pour ça que dans la version finale des règles, l’application du thème est facultative. Chaque joueur fait comme il le sent, en fonction de l’inspiration du moment.

J’ai donc fait quelques parties tests avec application du thème facultative, et j’ai acté ça dans les règles finales. Mais aujourd’hui, j’ai fait dix-quinze parties depuis que le jeu est paru, et surtout j’ai testé d’autres jeux maison avec des thèmes. Je vois comment on pourrait mieux faire les choses : quand un joueur gagne une phrase, il choisit l’un des douze thèmes, ou, s’il apprécie le concept de contrainte créative, tire un thème au hasard. J’avais écarté l’idée de choisir un thème, parce que je ne voyais pas la différence entre faire un choix et ne pas du tout appliquer les thèmes. Alors qu’en réalité, si les joueurs ont pour contrainte de choisir un thème, il leur est plus facile de respecter l’univers de jeu, et ils peuvent se poser des challenges créatifs.

Exemple : Un vampire m’a mordu et je gagne une phrase de souffrance ? Tiens, si j’écrivais une phrase avec le thème de la Folie ?

Je dois encore tester cette nouvelle idée, mais sur le papier elle me paraît plus séduisante.

Pour caler les règles d’un jeu, ça me paraît important de voir qui est votre public cible. Ça peut être une modélisation abstraite, mais je préfère me baser sur les témoignages des playtesteurs. Pour moi, le public cible, c’est l’ensemble des personnes que le jeu enthousiasme. Mais elles ne forment pas un tout homogène. J’ai des personnes dans mon public cible qui aimaient tirer des thèmes au hasard, d’autres qui détestaient ça. Je ne parle pas de public secondaire ou tertiaire, je parle bien de personnes du public primaire. En tant qu’auteur, j’ai cherché à être consensuel dans le bon sens du terme : c’est-à-dire, j’ai cherché un consensus pour que les joueurs du public cible (c’est-à-dire des personnes déjà séduites par l’ambiance d’Inflorenza) passent un bon moment. Je n’ai pas voulu être consensuel dans le sens de demander aux gens ce qu’ils veulent dans le jeu et le mettre à tout prix : le jeu aurait alors ressemblé à une voiture conçue par Homer Simpson !

La réponse que j’ai trouvée, c’est de rendre le jeu modulaire. Il y avait des fondamentaux que je souhaitais commun à toutes les tables, et d’autres aspects que je préférais laisser à l’appréciation de la table. À l’appréciation de la table, ça ne veut pas dire que je laisse les joueurs inventer les règles sur un point, ça veut dire que sur certains points je propose le choix entre plusieurs règles : mode Carte Blanche pour ceux qui aiment bien que le MJ contrôle le décor et les figurants, mode Carte Rouge pour ceux qui aiment que les joueurs prennent plus de pouvoir sur la narration. Ça veut aussi dire des règles facultatives, comme l’application des thèmes, et des règles avancées, comme les pouvoirs de personnages qui transforment Inflorenza en jeu de superhéros dark dans la forêt.

Ça n’a rien d’évident, et je ne peux pas garantir que mes décisions vont toujours convenir, mais ça me paraît important. Chercher comment faire pour permettre une bonne expérience aux personnes qui aiment les fondamentaux du jeu alors qu’elles ont des goûts différents concernant les aspects périphériques du jeu.

Pour y parvenir, faire un jeu modulaire, modulable, me paraît une solution possible. Mais il y a la manière. Si on veut pinailler, je ne suis pas très content de ce que j’ai écrit dans le jeu au sujet des thèmes. C’est mis qu’à chaque phrase, on doit tirer un thème au hasard, mais qu’on n’est pas obligé de l’appliquer. Ça sonne comme si je n’assumais pas cette règle. Aujourd’hui, donc, j’écrirais les choses différemment. À chaque phrase, on doit choisir un thème ou en tirer un au hasard. C’est beaucoup plus intuitif. Encore un argument en faveur de plus de playtests !

 

4 – Faites relire une première fois et faites encore relire votre version corrigée après relecture

 

J’adore écrire, mais je trouve ça très difficile. Je veux dire, pas difficile d’écrire un livre. Juste d’écrire une phrase qui traduise vraiment notre pensée et que tout le monde peut comprendre. Et si personne ne s’est endormi avant la fin de la phrase, c’est la cerise sur le gâteau. Je vous dis ça alors que j’écris depuis vingt ans.

C’est impossible d’écrire un premier jet qui soit vraiment lisible, et d’ailleurs je conseille d’écrire les premiers jets sans faire attention à ça. Écrivez à la vitesse de la pensée, posez vos idées en désordre.

Vous aurez tout le temps plus tard pour revoir ça et transformer cette purée de mots en festin.

La confiance en soi est primordiale pour sortir des premiers jets. Mais pour corriger, c’est bien d’être autocritique. Pour découvrir les horribles fautes de français, les contresens, les phrases incompréhensibles. Car votre premier jet ne sera que ça.

Ma technique, c’est de faire un premier jet, et ensuite de le relire trois fois.

Ensuite, il faut trouver des relecteurs. Quelle que soit la taille du texte, je trouve que six est un minimum. Concernant Inflorenza, une douzaine de personnes ont accepté de saigner des yeux pour la bonne cause. Pour composer votre dream team, prenez un relecteur qui a déjà joué à votre jeu, un auteur de jeu affûté sur les questions de game design, un nazi de la grammaire, un rôliste qui ne connaît pas votre jeu, et une personne qui n’a jamais fait de jeu de rôle. Soyez sympas avec les relecteurs, ils sont votre soutien le plus précieux. Mais vraiment. Sans les relecteurs, vous n’êtes rien. Vous passerez cent fois à côté de la même coquille quand eux, ils la verront au premier coup d’œil. Donnez-leur des instructions précises, mais laissez-les se concentrer sur leur spécialité, donnez-leur des délais longs pour s’organiser dans leur relecture, envoyez-leur une version imprimée s’ils ne veulent pas relire sur écran, et au final, récompensez-les comme ils le méritent. Un exemplaire du jeu fini et un crédit dans le texte sont un minimum. Si vous avez les moyens, vous pouvez aussi vous payer les services d’un relecteur professionnel.

Pour recruter des relecteurs, j’ai pris l’habitude de faire une demande publique sur mes réseaux, en annonçant le titre du texte à relire, son contenu, sa taille, et le délai que je demande. J’ai toujours été étonné par le nombre de personnes motivées pour participer.

Quand j’ai reçu les retours sur Inflorenza, je les ai d’abord tous lus. Ensuite, je les ai classés en 4 groupes, du plus simple (des retours portant principalement sur la grammaire et l’orthographe) au plus compliqué (impliquant de grosses refontes de game design et de chapitrage), et j’ai appliqué les corrections d’après chaque retour, du plus simple au plus compliqué.

Ensuite, j’ai relu ma copie, trois fois. Et à partir de là, je suis passé à la maquette.

Néanmoins, je ne suis pas satisfait du livre tel qu’il est sorti. Il comporte encore des coquilles. Il s’agit principalement de fautes de frappe, mais il y a aussi deux exemples de règles où les choses sont mal formulées et font apparaître une contradiction. Rien qui ne pourrait contrarier un lecteur bienveillant, mais quand même ces coquilles je les vois, et certains lecteurs les ont vues également.

C’est arrivé parce que j’ai fait deux erreurs.

Quand j’ai fini mes corrections d’après les retours des relecteurs, j’aurais dû retourner mon texte final au relecteur. Quand j’ai corrigé d’après les retours simples, j’ai éliminé la majorité des fautes de frappe et de français. Mais quand j’ai corrigé d’après les retours compliqués, j’ai tellement remanié le texte (mais vraiment : Inflorenza n’était plus du tout le même jeu) que j’ai refait un tas de nouvelles fautes de frappe et de français.

Quand j’ai été relecteur sur Démiurges de Frédéric Sintes, j’ai été surpris qu’il me renvoie son texte une deuxième fois. Aujourd’hui, j’ai compris qu’il avait raison.

L’autre erreur, c’est de n’avoir relu que sur écran. Quand j’ai été relecteur sur Sombre de Johan Scipion, il me disait toujours de relire ses textes sur un document imprimé. Mais sur Inflorenza, qui faisait deux cents pages, je ne l’ai pas fait. Le problème, c’est qu’en relisant le livre papier une fois publié, des coquilles m’ont sauté au visage. Donc, faites-le. Après avoir relu trois fois sur écran, imprimez sur papier et relisez sur papier. Ça vaut largement le coût de l’encre. Maintenant que je fais des livres artisanaux, j’ai le matériel pour imprimer facilement un livre entier, mais si vous n’avez qu’une petite imprimante, vous pouvez faire appel à un service de reprographie, ou même à un imprimeur, pour sortir un livre entier et le relire.

 

5 – Méfiez-vous des dates limites

 

J’ai déjà écrit un article détaillé sur les dates limites, mais je vais développer mon impression sur ce jeu en particulier. J’ai commencé à rédiger les textes au bout d’une vingtaine de playtests, et j’ai envoyé le texte à relire au 1er novembre 2013, avec un délai de deux mois pour relire. Les relecteurs ont tous rendu à l’heure, et au 1er janvier 2014, j’avais leurs retours. Je me suis dit alors que ça pourrait être prêt le 14 mars pour la Convention , Éclipse, qui est la plus grosse manifestation rôliste à laquelle je participe.

Alors, j’y suis parvenu, mais ça a eu un prix :
– en gros, j’ai fait les photomontages des illustrations et la maquette en deux mois ;
– j’ai pris le temps qu’il fallait pour corriger, c’est-à-dire beaucoup de temps ;
– en gros, entre corrections, photomontages, maquette, confection des livres artisanaux, Inflorenza a dû m’occuper a minima une trentaine d’heures par semaine entre janvier et avril ;
– ça a nettement impacté ma vie professionnelle et aussi ma vie relationnelle. En gros, on ne m’a pas beaucoup vu pendant deux mois. Et ça, je ne veux pas le renouveler ;
– corollaire des trucs précédents, en me fixant cette date limite tout à fait arbitraire (je suis mon propre éditeur, je peux bien sortir mes livres quand je veux), je n’ai pu ni playtester ni relire autant qu’il me paraît nécessaire aujourd’hui.

Si vous avez un éditeur, les dates limites arbitraires ne devraient pas être une fatalité non plus. Votre éditeur est tout à fait à même de comprendre vos contraintes de temps et vos contraintes de game design et il ajustera sa communication en conséquence. Il saura même détecter si vous vous mettez trop la pression. Les dates limites sont intéressantes pour booster les auteurs feignants ou procrastinateurs, mais ce ne sont ni les seuls ni les meilleurs outils pour ça. Se fixer des contraintes arbitraires peut mener à bâcler le travail. Il vaut mieux travailler à magnifier sa passion pour le game design et aménager son emploi du temps que de se fixer des contraintes arbitraires qui n’aideront qu’à bâcler le travail.

Les choses se compliquent si vous avez lancé votre jeu avec une souscription. J’évite ce mode de financement, en partie à cause de la pression temporelle qu’il nous met. S’il vous est nécessaire de vous financer par souscription, prenez garde à ne la lancer qu’après être déjà bien avancé dans votre travail de game design. S’il vous paraît inconcevable de commencer à travailler sérieusement sur un jeu tant que le financement n’est pas assuré, alors soyez élégant dans votre communication auprès des souscripteurs : faites des points réguliers en justifiant chaque délai et diffusez des versions tests jouables au moins une fois par an ou une fois tous les six mois.

Un jeu n’est jamais terminé. Dans un an, trois ans, dix ans, même si entretemps j’aurai peut-être sorti une deuxième ou une troisième édition, je verrai encore des trucs à corriger, parce que mon expérience et mes souhaits ludiques auront évolué. Pas forcément pour le meilleur, d’ailleurs.

Il faut bien se décider à livrer le bébé un jour. Donc, terminez votre jeu, mais ne le terminez pas en dessous de votre niveau d’exigence du moment. C’est la meilleure façon de ne pas avoir de regrets.

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