Ji-herp

Ji-Herp est un JdR médiéval fantastique publié en 1998 par les Éditions Yggdrasil. La société avait été créée pour cette occasion et regroupait quelques amis désirant vivre de leur passion commune pour le jeu de rôle. Malheureusement, ils connurent quelques déboires et l’expérience fut d’assez courte durée.

Toutefois, dans le cadre cette rubrique, Joël Alves, fondateur des Éditions Yggdrasil et principal auteur du jeu, accepte de revenir sur cette aventure et de partager avec nous 5 trucs qu’il a appris en travaillant sur Ji-herp !

Plus d’infos sur Ji-herp : http://www.legrog.org/jeux/ji-herp
La bio de Joël : http://www.legrog.org/biographies/joel-alves

 

1 – Qu’est-ce qu’on est con quand on est jeune !

 

Ma plus grosse déconvenue dans cette première expérience a été celle du choix de l’imprimeur. Enfin, du second. Pour le premier, nous avions œuvré avec un imprimeur français, à la fois pour son accessibilité et parce que nous voulions faire travailler des compatriotes. Tout s’est très bien passé.

Sauf que pour pallier à l’aspect visuel insuffisant de cette première édition (cf. 3), nous avons décidé d’en imprimer une seconde, plus luxueuse. Toutefois, le coût d’un tel projet, surtout vu nos moyens et le prix de vente prévu, nous a amenés à nous orienter vers des imprimeurs étrangers. J’ai fait appel à quelques grands anciens du milieu pour bénéficier de leurs conseils, puis j’ai choisi de travailler avec un imprimeur polonais via un intermédiaire.

C’était une grosse erreur.

Tout d’abord parce que je ne connaissais pas réellement cet intermédiaire autrement que par quelques contacts téléphoniques et les conseils de « concurrents » (même si on ne peut pas vraiment parler de concurrents dans ce cas). Ensuite parce que je ne pouvais pas me rendre sur place. Le résultat fut sans appel. Nous n’avons jamais réussi à avoir les exemplaires (soi-disant) imprimés en Pologne et avons dû nous résoudre à arriver les mains vides au Monde du jeu et nous avons perdu toutes les sommes que nous avions investies dans l’opération : avances, manque à gagner, frais divers, etc.

Face à cette impasse, j’ai contacté directement plusieurs imprimeurs en Espagne. Les coûts étaient situés entre ceux des imprimeurs polonais et français, et, étant non loin de la frontière, il était beaucoup plus facile pour nous de nous rendre sur place. D’autant plus que, cette fois-ci, je parlais couramment la langue. Aussi, nous avons pu établir le même relationnel qu’avec notre imprimeur français et le résultat fut à la hauteur.

En conclusion, je pense qu’il vaut vraiment mieux éviter de faire imprimer dans un pays où on n’a aucun contact de confiance ou où on ne peut se rendre. L’impression est un des plus gros postes de dépense sur un jeu et il est facile d’y laisser des plumes.

 

2 – Gérer une équipe demande du travail.
Rien ne vaut le travail en équipe.

 

Même lorsqu’on est le principal auteur d’un jeu, travailler en équipe apporte de nombreux avantages :
– elle sert de garde-fou et permet de limiter les idées foireuses. En effet, rien de plus facile lorsqu’on est seul que de se faire avoir par une fausse bonne idée et dans ce cas, un œil extérieur mais bienveillant permet d’éviter bien des bêtises ;
– elle permet de rester motivé sur la longueur. Lorsqu’on traite d’un point certes important, mais secondaire, on peut avoir une baisse de régime ou être peu inspiré. Dans ce cas, un membre de l’équipe peut facilement soulager la charge de travail de l’auteur initialement prévu et prendre le relais avant que la situation ne se transforme en un blocage des plus démotivants ;
– elle permet un travail plus complet en amenant plusieurs points de vue sur une même situation. Ceci peut par exemple amener à développer des points qui auraient été occultés sinon.

 

3 – Le marketing n’est pas un gros mot.
Mieux vaut connaître les attentes des joueurs…

 

Cela peut sembler une évidence aujourd’hui, mais à l’époque ou nous avons créé Ji-herp, la fin des années 90, un jeu français se devait d’être beau avant d’être bon. Ou au moins aussi beau que bon. Sinon, c’était autant de ventes potentielles qui partaient en fumée. De même, les jeux se devaient d’être denses et très fournis en background. Bien plus que ceux qui sortaient quelques années plus tôt. Alors que ma génération avait l’habitude de livres assez légers suivis de suppléments rentrant dans les détails, les joueurs d’alors réclamaient plus de matière dès le livre de base.

Malheureusement, je n’ai découvert tout cela que trop tard. L’essentiel des critiques portait alors sur l’aspect visuel, donnant même l’impression que le contenu du jeu en lui-même était presque moins important. Confrontés à tout ça, nous avons très largement rectifié le tir pour la seconde édition et rajouté des éléments de contexte, des illustrations pros, de la couleur, une couverture rigide, etc. Mais toutes ces modifications, surtout si tôt après la sortie initiale du jeu, nous ont coûté énormément et ont amputé notre trésorerie.

 

4 – … la majorité est souvent silencieuse.
Il y a des joueurs pour la plupart des jeux.

 

Je ne suis arrivé à ce constat que plusieurs années après la fin des Éditions Yggdrasil.

L’expérience n’a pas été de tout repos : Ji-herp a provoqué de nombreuses critiques à sa sortie, pas toujours faciles à encaisser (surtout lorsqu’elles viennent de proches), et, hormis l’écran, la gamme que nous espérions proposer n’a jamais pu voir le jour.

Pourtant, ce serait une erreur de s’arrêter à ça. Malgré tous ces déboires, le jeu s’est assez bien vendu. Pour tout dire, si nous avons dû mettre la clé sous la porte, c’est davantage à cause de nos mésaventures polonaises et des problèmes de trésorerie qu’elles ont engendrés. Sans ces derniers, les ventes auraient très probablement suffi à nous maintenir à flots.

Et, au-delà des ventes, nous avons surtout reçu des signaux positifs de la part des joueurs eux-mêmes tout au long de l’édition du jeu. Par exemple, même lors de ce fameux Monde du jeu où nous avions les mains vides, nous avons pu nouer de nombreux contacts très enthousiastes, et même réaliser quelques préventes. Plus important encore, aujourd’hui, soit 15 ans après, il existe encore des joueurs qui continuent à pratiquer Ji-herp. Bien entendu, ils ne sont vraiment pas nombreux, ni ceux qui parlent le plus fort sur le Net, mais ils sont toujours là, échangent entre eux, jouent, etc. Bref, ils sont bel et bien actifs. Par exemple, la photo ci-dessus a été prise lors d’une partie impromptue qui a lieu durant la convention Eclipse à Rennes en Mars dernier et vous pourrez trouver une telle communauté sur ce forum : http://ji-herp.forumsactifs.com.

Cela ne paraîtra pas forcément grand-chose, mais c’est très gratifiant lorsqu’on s’est investi avec autant de passion sur un jeu. Et en ce qui me concerne, cela montre que du moment que celle-ci transparaît, il y aura toujours un public pour votre jeu. Aussi limité et discret soit-il.

 

5 – Les paradoxes du marché du JdR.

 

Cette première expérience m’a également permis de comprendre pourquoi il était difficile de vivre de la production de JdR.

Tout d’abord, son prix de vente. Alors que certains jeux de société sont vendus autour de 80 €, les JdR le sont aux alentours de 50 €, pour les plus gros. Pourtant, le temps et (donc) le coût de production sont souvent supérieurs dans un JdR pour un coût de fabrication en gros équivalent.

Un autre exemple parlant est celui du jeu vidéo. Dans le domaine dominant, un jeu est sur console est vendu 60 € et permet une dizaine d’heures de jeu pour une personne. Un JdR à 40 € permet souvent une bonne centaine d’heures de jeu à 5 joueurs, soit environ 500 heures. Même si le coût de production d’un jeu vidéo est sans commune mesure avec celui d’un JdR, c’est aussi le cas de son marché et cela devrait compenser largement.

Ensuite, ce n’est pas forcément celui qui fournit le plus de travail qui est le plus rémunéré. L’auteur, qui est la base de tout et fournit en général le plus de travail est bien souvent un de ceux qui en récoltent le moins de fruits. L’éditeur subit parfois le même problème, là où le distributeur et le vendeur se taillent généralement la part du lion sur un produit donné.

De plus, la passion peut être, paradoxalement, un frein à la création. En effet, le grand nombre de productions payantes, qui ont été certes réalisées avec passion, mais dont certains membres acceptent de travailler pour rien ou presque rien, fausse la donne. Comble de l’ironie, elles défavorisent surtout ceux qui jouent réellement le jeu.

Au final un auteur, voire un éditeur, doit trouver un moyen de gagner sa vie en parallèle à sa production de JdR le temps d’avoir assez de jeux dans les rayons pour pouvoir accumuler assez de revenus réguliers (droits d’auteurs, ventes, etc.) pour en compenser le faible montant initial. Le plus souvent, cela condamne le JdR au rôle d’activité secondaire et de loisir, y compris chez ceux qui le font…

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