Le Temps des samouraïs : les origines sanglantes du Japon

Vous n’êtes probablement pas sans savoir que Netflix vient de publier une nouvelle série appelée Le Temps des samouraïs. Proximité avec Tenga oblige, on m’a pas mal demandé mon avis dessus ces derniers jours. J’avais laissé un rapide commentaire à ce sujet sur le groupe de L’Empire des cerisiers, mais j’en profite pour en donner un plus développé ici.

Pour présenter rapidement la série, il s’agit d’un docu-fiction en six épisodes de 40 à 45 minutes chacun et qui raconte comment s’est faite l’unification du Japon dans la seconde moitié du XVIe siècle. Sauf erreur de ma part, c’est une production canadienne, même si tournée avec de nombreux acteurs japonais ou d’origine japonaise et en grande partie dans cette langue. Les scènes de dramatisation alternent avec des commentaires et autres d’interventions d’historiens.

On va faire simple : pour les joueurs de Tenga, je vous conseille de vous jeter dessus. L’action de la série se passe au même moment que celle du jeu et constitue à mes yeux une formidable porte d’entrée sur certains enjeux de cette période. Ou du moins, sur ceux liés à la géopolitique, aux seigneurs, à leurs clans et aux grandes batailles amenant à l’unification du pays. Autant être très clair, n’espérez pas y découvrir des explications sur la cérémonie du thé ou les réformes cadastrales. Ce n’est pas l’angle choisi et vous vous tromperiez tout simplement de programme. Pour prendre un exemple plus précis, si on évoque en partie la religion, c’est certes au travers de quelques rares cérémonies, mais c’est surtout comme une force politique et militaire, et dans le cadre de certaines campagnes militaires bien spécifiques. En revanche, même si la série se concentre sur cet angle de lecture et ne se disperse pas, j’étais ravi de constater qu’elle abordait, parfois rapidement, parfois plus en profondeur, certains éléments cruciaux qui sont bien souvent complètement laissés de côtés : ligues paysannes,  rapports avec la cour impériale, sectes armées, etc. De plus, je mentirais si je disais que les batailles sont ce qui m’intéresse le plus dans l’histoire de cette période, mais j’ai trouvé plaisant que la série en développe certaines spécificités pas toujours faciles à appréhender au début, que ce soit dans leur contexte ou dans leur déroulement. Cela m’a d’autant plus ravi que pour avoir fait jouer de nombreuses fois des scénarios se pasant lors des batailles de Yamazaki ou Shizugatake, par exemple, c’est exactement ce type d’anecdotes qui avait permis d’en faire des adaptations en JdR qui ne soient pas juste de bêtes applications des règles de bataille rangée.   

Est-ce qu’il y a des erreurs historiques ? Alors, ça dépend jusqu’où on a envie d’en voir. Si on cherche, bien sûr que l’on va en trouver, mais la plupart des points que j’ai vu mentionnés ici ou là jusqu’à présent venaient soit de phrases mal comprises (peut-être du fait de la traduction, on a remarqué quelques différences entre les sous-titres anglais et le doublage français) soit d’éléments relativement classiques liés au média ou au budget (coiffure moderne particulièrement visible sur un acteur donné,  accessoires réutilisés et/ou standardisés, difficulté d’avoir un acteur de 45 ans qui reste crédible tout du long quand son personnage est censé être suivi de 15 à 47 ans, etc.). Je ne connais bien sûr pas tout non plus de la période et j’ai pu louper certaines erreurs, mais, à mon avis, on reste vraiment sur des points de détails : ordre de naissance au sein d’une fratrie, Nobunaga présenté comme un ours négligé alors qu’il était tout le contraire, apparence de tel ou tel personnage, habituelle prédominance fictionnelle du katana, le ninja avec son masque pas forcément utile (mais pour une fois pas en pyjama), les coiffures dans leur globalité, etc. De mémoire, il n’y a qu’un seul passage qui m’a fait vraiment bondir : quand le premier épisode montre le futur Toyotomi Hideyoshi tuer Imagawa Yoshimoto.

On peut bien sûr s’arrêter sur ce genre de choses, mais j’ai l’impression que ce serait se montrer bien sévère alors que je ne suis pas sûr qu’on – nous les rôlistes – en exigerait autant d’une série sur l’histoire de France, par exemple. Pour être tout à fait honnête, cela me fait aussi bizarre quand je compare certaines réactions aujourd’hui à celles lors de la sortie de Ghost of Tsuhima par exemple. D’autant plus que la série est très efficace pour présenter rapidement les grandes dynamiques de l’époque. Et, à part sans doute sur Date Masamune, on évite pas mal des fétichisations habituelles liées au Japon médiéval. En fait, mes réserves potentielles ne concernent pas tant le traitement réservé à tel ou tel élément que l’absence de tel ou tel autre. Par exemple, j’aurais aimé voir plus de choses sur les très nombreuses relations entre les membres du clan Oda et tout le drama que cela génère, sur la fin des Ashikaga, les Môri, la cité marchande de Sakai, la christianisation du pays ou Dame Oichi et ses filles (même si on voit Chacha, mais les liens ne sont pas expliqués). Après, il est évident que l’on ne peut pas tout montrer, que mes goûts entrent en ligne de compte et je ne suis pas sûr que cela aurait rendu la série meilleure. En fait, pour moi, le seul véritable manque concerne certaines informations-clé sur la jeunesse de Tokugawa Ieyasu et la nature de ses liens avec les Oda et les Imagawa. Ce n’est pas forcément bien méchant, mais cela le présente sous un jour un peu différent de celui que lui donne la série.

Finalement, je crois qu’il n’y a qu’une chose que je reproche vraiment au Temps des samouraïs : sa communication. Tout d’abord parce qu’il avait été annoncé comme Le Trône de fer au Japon. Or, si la période et sa realpolitik brutale peut sans aucun souci rappeler Westeros (personne ne les a attendus pour faire le parallèle), les deux productions n’ont rien à voir en termes d’ambition, de narration, de rythme ou de qualité de production. En fait, c’est difficile de ne pas se dire qu’une telle annonce est le meilleur moyen de décevoir un public qui ne s’attend pas forcément à un documentaire. On peut également parler du sous-titre français, avec lequel j’aurais du mal à être charitable et qui a de grandes chances de faire fuir ceux qui s’intéressent déjà un peu au sujet. L’autre aspect de la communication avec lequel j’ai du mal est la façon dont les experts s’expriment parfois, avec force superlatifs et hyperboles qu’on leur a sans doute imposés. En six épisodes, on ne compte plus les batailles annoncées comme les plus importantes de l’histoire du Japon…

En résumé, je vous conseille vivement Le Temps des samouraïs : les origines sanglantes du Japon. Si vous ne connaissez pas déjà cette époque par cœur, il suffit d’être conscient qu’il s’agit d’un docu-fiction et pas d’une super production et il vous permettra de vous familiariser très facilement avec les grandes lignes de l’histoire de la période. C’est une porte d’entrée qui suffira pour avoir une ambiance générale et qui vous permettra de savoir quoi chercher si vous voulez en apprendre davantage. Au risque de faire mon ancien combattant, il y a vingt ans, on aurait tué pour avoir ce genre de productions à montrer à nos potes, plutôt que de trafiquer des versions irregardables de drames historiques de la NHK ou de terminer de flinguer nos VHS de Kagemusha en le regardant pour la 75e fois. 

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4 Commentaires
  • Richeux-Palier

    19/03/2021 at 23 h 19 min Répondre

    Sans être expert, et après avoir jeter un oeil à certains épisodes il me viens tout de même un proverbe ancien toujours d’actualité :  » l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et l’est systématiquement pour légitimer le pouvoir en place « . Peu ignorent que par bien des aspects le Japon ( tout comme certains pays d’Europe occidentale ) se comportent encore aujourd’hui comme des vassaux de l’impérium US . C’est pourquoi , voir cette histoire du Japon nous être conté essentiellement par des historien Yankee me parait une profonde insulte envers la culture nippone .

    • Brand

      20/03/2021 at 1 h 44 min Répondre

      Merci pour ce retour, même si nous ne sommes pas du même avis sur ce point.
      Je vous encourage à jeter un coup d’œil à la bio/biblio de Kitagawa Tomoko qui est une des expertes présentes. Ses participations sont bien sûr éditées, comme celles des autres intervenants, mais sa compétence fait l’unanimité il me semble.

  • Sly

    04/03/2021 at 9 h 17 min Répondre

    « J’ai trouvé plaisant que la série en développe certaines spécificités pas toujours faciles à appréhender au début, que ce soit dans leur contexte ou dans leur déroulement. Cela m’a d’autant plus ravi que pour avoir fait jouer de nombreuses fois des scénarios se pasant lors des batailles de Yamazaki ou Shizugatake, par exemple, c’est exactement ce type d’anecdotes qui avait permis d’en faire des adaptations en JdR qui ne soient pas juste de bêtes applications des règles de bataille rangée.  »
    Justement je me suis toujours demandé comment mettre en relief certains éléments pour faire vivre un scénario qui tourne autour d’une bataille. Des astuces à suggérer ? Quels éléments et spécificités t’ont apparu dans cette série comme intéressants à ce sujet ?

    • Brand

      04/03/2021 at 14 h 29 min Répondre

      Juste une remarque sur la série, pour éviter tout malentendu : la plupart des batailles sont représentées avec dix gusses dans une forêt. Donc de façon générale, il ne faut pas trop faire attention à ce qui est montré, mais à ce qui est expliqué. C’est assez frappant pour Okehazama et Shizugatake par exemple.

      Sinon pour te répondre plus précisément : pour ces déroulés, je me suis beaucoup servi des livres de l’éditeur Osprey. Mais ils datent et il y a sans doute mieux ou plus facile d’accès maintenant.
      Pour faire jouer les batailles, je gère un peu différemment quand il s’agit de batailles génériques ou improvisées, et quand il s’agit de batailles plus « scénarisées ». C’est notamment le cas pour les batailles historiques qui font l’objet de tout une séance par exemple.

      Pour les batailles improvisées, j’ai pondu une aide de jeu que l’on trouve ici : http://tengajdr.com/?page_id=4
      Ce système marche aussi assez bien comme solution intermédiaire pour les batailles historiques si tu as déjà une idée plus ou moins structurée de son déroulement ou de ce que tu veux. Il te suffit de réinjecter certaines moments clé quand tu le souhaites. Je pense même que l’aide en jeu l’évoque, mais je ne me suis pas allé vérifier.

      Pour les batailles qui donnent lieu à un personnages à part entière, j’essaye en général d’avoir deux choses :
      – un découpage de la bataille en phases importantes qui donnent l’impression que la situation ait radicalement changé, à la fois en terme d’enjeux, de défis ou tout simplement d’événements. Il peut aussi bien s’agir d’opportunités pour les personnages ou d’effets sur les joueurs. Souvent, cela dépasse le cadre strict de la bataille. Par exemple, Shizugatake sans tout ce qui a précédé la bataille ou sans le seppuku de Shibata Katsuie et d’Oichi, l’image de ses filles ou son poème funéraire, c’est dommage amha. Idem pour Yamazaki sans la prise de position sur la colline du Tennôzan ou la fuite de Mitsuhide. On n’a pas besoin de tout prévoir, mais simplement avoir des phases permet de se renouveler facilement et de laisser les personnages agir et avoir une influence tout en gardant une certaine cohérence.
      – une idée assez claire de ce que les personnages peuvent avoir à faire et prendre place dans l’histoire. Cela peut être parce qu’ils veulent faire quelque chose de tangent à ce qui est en train de se jouer (retrouver un PNJ, empêcher un assassinat, etc.) et que cela sert de fil rouge durant toute la bataille, ou au contraire, leur donner des objectifs ou la liberté de les choisir à plus court terme phase après phase, parce qu’ils sont au plus près des combats et les pieds dans la boue.

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